J'ai accepté.
Je connaissais un peu Marc Villemain, et j'avais déjà vaguement entendu parler de la revue Le Grognard, deux "références" accompagnant la proposition...
Quelques jours plus tard, est arrivé dans ma boite à lettre un vrai beau livre des éditions du Petit Pavé, exhibant en couverture la reproduction de la page de garde de l'Index des livres prohibés par Rome.
On est tout de suite dans l'ambiance, même s'il n'est pas question de cet index dans le roman, il semble être là comme une racine persistante dans notre histoire et dans notre avenir...
Stéphane Beau écrit un roman d'anticipation que certains appelleront dystopie quand d'autres préféreront y voir un apologue ou le nommeront plus simplement une fable philosophique.
Pour ma part, je dirais que c'est un peu de tout cela à la fois et que c'est pour le plus grand plaisir du lecteur.
La construction du roman met en abîme la question de la place des livres dans les démocraties, et autant dire
que le bon ménage ne semble pas vraiment aller de soi...
L'auteur nous décrit le monde en 2090, les livres n'existent plus et l'accès au savoir ne se fait qu'en consultant de grandes encyclopédies universelles sur un internet qui est sous haute surveillance.
Quelques données sont encore accessibles sur certains philosophes et écrivains, mais nombre d'articles sont ainsi rédigés :
« La loi du 15 mars 2063 ne vous autorise pas à accéder à cette page. Veuillez modifier votre recherche ».
L'accès au savoir a été purgé et réorganisé cette fameuse année, en éliminant toute possibilité de lectures pouvant s'avérer dangereuse pour le bien-être psychologique de l'individu.
Le doute, la solitude ou l'esprit critique ne menant pas à grand chose d'autre qu'au désespoir, peu productif pour la société, il a été décidé de l'éviter aux citoyens de cette époque bénie, où l'on vit en bonne santé durant plus de cent ans, en travaillant sans troubles liés à l'alcool, au tabac, à l'alimentation malsaine, aux affres de l'amour et du désir...
Des kit de reproduction sont accessibles en pharmacie, assurant aux femmes la possibilité de féconder sans risques affectifs ou infectieux...
Dans ce meilleur des mondes, le héros découvre par hasard un coffret, qu'il finit par trouver le temps d'ouvrir :
"Doucement, il souleva le couvercle qui grinça faiblement. À l’intérieur sept livres étaient rangés en deux piles parallèles. Incrédule, Nathanaël les sortit un par un, délicatement, et les étala devant lui. Des livres… Il s’attendait à tout sauf à ça ! Des livres ! Il ne se souvenait même pas en avoir vu en vrai. À l’école, peut-être, en photo, lorsqu’il avait étudié l’histoire des siècles précédents, mais il était sûr qu’il n’en avait jamais touchés, jamais feuilletés… jamais lus ! L’usage du livre avait été définitivement aboli vers le milieu des années 2060, c’est-à-dire peu de temps après sa naissance.
Cette abolition des livres s’était d’ailleurs faite très naturellement, sans le moindre heurt. Il y avait bien longtemps que presque plus personne n’en lisait : trop volumineux comme objet, trop lourd, et aussi trop gourmand en matière première. Trop gourmand en temps aussi : qui pouvait se permettre de passer des heures à lire aujourd’hui ?
Qui pouvait se permettre de perdre son temps d’une manière aussi peu productive ?
Petit à petit les bibliothèques, déjà désertées par les lecteurs, avaient été vidées de leurs contenus.
Transformées en espaces de communication publique elles avaient été équipés de postes informatiques diffusant en boucle l’essentiel de tout ce qu’un bon citoyen devait savoir : la météo, les dernières directives du gouvernement, des émissions de divertissement, des appels à témoins régulièrement remis à jour par les services de la Police Citoyenne et, surtout, des reportages – essentiels – sur les faits et gestes de tous les grands de ce monde. L’adoption d’un enfant par un ministre ; l’achat, par un député d’une nouvelle voiture ; la nouvelle concubine d’un chanteur à la mode… Autant d’événements qui donnaient immédiatement lieu à des enquêtes interminables, à des débats sans fins qui mobilisaient tous les journalistes du pays jusqu’à ce qu’un nouveau scoop – le divorce d’un sénateur par exemple – attire à son tour tous les regards.
Nathanaël laissa ses doigts courir sur les couvertures jaunies des ouvrages étalés devant lui. Leur odeur lui rappelait celle des feuilles mortes, dans l’humidité des soirs d’automne. Il lut les titres des six premiers livres : Par de là le Bien et le Mal d’un certain Nietzsche, Le Traité du Rebelle d’Ernst Jünger, Walden d’un dénommé Thoreau, Combat pour l’individu de Georges Palante, une sélection des Essais de Montaigne, et Malaise dans la civilisation de Sigmund Freud…
Aucun de ces auteurs ne lui étaient connus et les titres de leurs écrits sonnaient bien différemment de ceux que le ministère des publications diffusait habituellement et que tout un chacun pouvait télécharger sur le site du Patrimoine Culturel Globalisé."
Voilà, à vous de découvrir l'intrigue, bien menée, les propos, ardus mais accessibles, les citations des auteurs des livres contenus dans le coffret, nombreuses mais pas rébarbatives...
En surfant sur nos peurs qui gonflent face aux changements et aux métamorphoses de ce 21ème siècle naissant, notre écrivain-suricate voit se profiler un futur proche à faire frémir...
Il nous interroge et nous invite à la lecture de grands textes qu'il veut partager encore et encore.
J'espère que je vous aurais donné envie de vous plonger dans ce petit livre qui sort du lot...
Je l'inscrit bien sûr au :
Et j'en fais dès aujourd'hui un
L'auteur du Blog Han Ryner en fait une présentation minutieuse,
tout comme Marc Villemain sur le site de l'éditeur,
Frédéric Saenen y voit un livre aux allures de" Traité du Rebelle à l’usage des non-avertis".
Julie propose une critique avec des citations judicieuses sur décalée,
que l'on retrouve sur BSC NEWS,
C'est un livre à découvrir pour Marc,
Un apologue écrit avec élégance et conviction pour Bertrand,
Lire un extrait ici,
Une citation en forme de clin d'oeil chez oniromancies,
"Sueurs froides assurées" nous dit le manchot-épaulard en nous ordonnant de lire ce conte philosophique.