Magazine Beaux Arts
Le temps est à présent bientôt venu pour nous, amis lecteurs, de définitivement quitter Thoutmosis III et l'inscription des Annales dans le temple d'Amon-Rê à Karnak et de rentrer au Louvre. Non sans avoir, toutefois, jeté un dernier regard sur le promontoire de Mégiddo pour plus spécifiquement l'envisager sous son aspect historique multimillénaire ; partant, dans une perspective archéologique.
En effet, depuis le début du XXème siècle, maints savants, maints fouilleurs se sont succédé sur ce site maintenant israélien et appelé Tell el-Mutteselim, pour tenter d'en percer quelques secrets. A l'extrême fin du XIXème siècle déjà, après que le pasteur américain Edward Robinson eut formellement identifié l'endroit comme étant la Mégiddo biblique, l'on n'eut de cesse d'y rechercher des vestiges ayant peu ou prou quelconque rapport avec le célèbre roi Salomon, mais aussi avec ce lieu où, selon le seizième verset du seizième chapitre du Livre de l'Apocalypse attribué à Jean, et qui clôt le Nouveau Testament, devrait se dérouler, à l'instant du dernier jour, l'affrontement définitif entre les forces du Bien et celles du Mal ; lieu appelé en hébreu Har Megiddo (Mont Megiddo), généralement interprété comme étant l'Armageddon de la Bible ...
A chacun, en fait, ses raisons de fouiller ... pour autant que la science s'en trouve grandie et que les apports archéologiques afférents soient sérieusement et méticuleusement analysés, et interprétés !
C'est ainsi que dans les toutes premières années du siècle dernier, à partir de 1903, la German Society for Oriental Research investigua pendant trois ans sous la direction de l'archéologue Gottlieb Schumacher
Elle sera suivie, en 1925, par l'Oriental Institute of Chicago
qui bénéficia pour ses recherches de l'aide pécuniairement non négligeable de John D. Rockefeller Jr., le même d'ailleurs qui finança la construction du Rockefeller Archaeological Museum de Jérusalem dans lequel, précisément, sont exposés nombre de vestiges de Mégiddo.
- Et entre ces deux dates du premier quart du siècle, que se passa-t-il là ?, seriez-vous en droit de me demander.
- Rien moins qu'une bataille de l'histoire de la Première Guerre mondiale : opposant les Anglais du Commonwealth sous les ordres du général Edmund Allenby et l'Empire ottoman pour la conquête de la Palestine, elle concrétisa l'incontestable victoire des premiers après que, parmi les différentes armées turques qui s'étaient engagées dans le combat, celle de Mustafa Kemal Atatürk, la VIIIème, harcelée par l'aviation britannique, décide de battre en retraite : 25 000 soldats turcs sont ainsi faits prisonniers.
De 1925, donc, et jusqu'en 1939, à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, les fouilleurs américains espèrent mettre au jour palais et écuries du roi Salomon. Et en effet, leurs espoirs semblent se concrétiser quand ils découvrent là des vestiges corroborant une évidente pratique d'élevage de chevaux ...
Mais ce ne sera véritablement qu'à partir de 1994 que le site délivrera, campagne après campagne, son richissime passé : à cette date, c'est l'archéologue Israël Finkelstein qui prend la direction de The Megiddo Expedition de l'Université de Tel Aviv avec comme volonté avérée - qui lui vaudra d'ailleurs bien des déboires de la part des historiens chrétiens et des exégètes de la Bible contestant et sa méthode et ses conclusions -, d'abandonner la visée des différentes missions en activité sur le site jusqu'en 1970 (et qu'il est maintenant convenu d'appeler "archéologie biblique") : l'idée prévalait en effet à l'époque que l'on essayât de faire coïncider la date présumée des vestiges mis au jour avec celle des récits que l'on trouvait dans la Bible, cette dernière ayant aux yeux de beaucoup incontestable valeur de livre d'Histoire.
Finkelstein, quant à lui, préféra plutôt, sans a priori aucun, se servir des avancées technologiques aux fins de cerner au plus près les datations des ruines qu'il exhumait ; avec, subséquemment, une plus grande circonspection quant à l'historicité de certains récits bibliques se rapportant par exemple à David, Salomon et autres souverains du royaume de Juda.
La Bible dévoilée, ouvrage co-écrit avec un autre archéologue, Neil Asher Silberman, historien et directeur du Centre Ename de Bruxelles pour l'archéologie et l'héritage public de Belgique, publié en français en 2002 et proposé depuis en collection de poche Folio Histoire chez Gallimard, reprend entre autres contributions, les différents articles disséminés dans des revues internationales scientifiques que I. Finkelstein a rédigés en guise de rapports de fouilles.
Et comme depuis Champollion, nous savons tous qu'oser remettre en question certaines assertions dogmatiquement assénées depuis des siècles par le pouvoir religieux équivaut à une mise au ban de la société des bien-pensants de ceux qui ont osé ce sacrilège, vous vous doutez aisément, amis lecteurs, que la thèse de ces deux "renégats" fit se déposer beaucoup plus d'amertume que de vin gouleyant au sein de certaines confréries.
Il n'en demeure pas moins que les fouilles entreprises à Mégiddo par Finkelstein et ses collaborateurs, notamment l'archéologue israélien David Ussishkin avec lequel il co-dirige le chantier de quelque onze hectares, ont particulièrement été riches en découvertes : toutes ces excavations ont en effet pu déterminer que quelque 25 strates se sont ainsi succédé sur le site aux cours de ses sept mille ans d'histoire ; niveaux superposés qui, pour la plupart, renferment des vestiges de sociétés humaines.
Bien qu'il soit supputé qu'au VIIème millénaire avant notre ère, la présence de l'homme était déjà décelable, ce ne serait qu'au IVème, c'est-à-dire à l'époque du bronze ancien, que prendrait vraiment naissance l'histoire de cette importante cité-Etat : la position tout à fait stratégique qui était sienne sur ce promontoire au croisement des voies commerciales mais aussi militaires qui de l'Egypte permettaient de rallier Phénicie, royaume des Hittites et Mésopotamie (Mitanni de l'époque, au-delà de l'Euphrate) lui vaudra également de souvent constituer le centre névralgique de nombreux conflits et, dès lors, d'être régulièrement détruite et tout aussi régulièrement reconstruite.
Quand j'ai ci-avant évoqué les recherches menées à Mégiddo à partir de 1925 par l'Institut oriental de l'Université de Chicago, j'ai, souvenez-vous, laissé supposer que les espoirs des archéologues américains de retrouver des vestiges monumentaux datant de l'époque du roi Salomon, soit au Xème siècle avant notre ère, se concrétisaient en partie grâce à ce qu'ils découvraient.
Mais ce sont maintenant les datations déterminées par la méthode du carbone-14 employée par la mission archéologique de Finkelstein qui nous permettent d'affiner la chronologie : et quoi qu'en aient pensé les checheurs américains avant la guerre, toutes ces ruines attribuées par eux à Salomon sont à postdater d'environ deux cents ans ; elles concernent le VIIIème siècle avant notre ère et donc une tout autre histoire ...
De sorte que l'on peut maintenant affirmer qu'à cette époque précise, à l'encontre de ce que proclame la Bible, existaient deux entités bien distinctes : Israël, au nord, et le royaume de Juda, au sud ; Mégiddo constituant en quelque sorte la "capitale" du premier, et Jérusalem - qui n'était d'évidence pas encore le centre du royaume unifié de David et de Salomon décrit par le livre sacré -, celle du second.
Vous conviendrez avec moi, amis lecteurs, que ce "petit" écart de deux siècles change considérablement les données de l'Histoire de ces terres du Proche-Orient ancien !
Aujourd'hui, alors que bientôt nos regards vont définitivement s'éloigner de Mégiddo, les fouilles se poursuivent, inlassablement, qui vont certainement encore permettre si pas d'écrire de nouveaux chapitres, à tout le moins d'apporter des précisions chronologiques nouvelles sur son passé pluri-millénaire.
A l'heure où je rédige ces lignes, la campagne de fouilles entamée en juin 2009 et devant prendre fin en juillet prochain bat son plein : au risque de me répéter, j'invite d'ailleurs ceux parmi vous que cela intéresse, et qui désireraient en savoir un peu plus, à consulter le remarquable site qui y fait référence, avec vidéos ainsi que de nombreuses photos concernant les différents niveaux exhumés lors des précédentes campagnes.
(J'ai par ailleurs pris la liberté d'en emprunter certaines pour illustrer le présent article, en espérant ainsi mieux encore rendre hommage au volumineux travail de cette mission scientifique.)
Et maintenant pour ce qui me concerne, amis lecteurs, foin de continuer à jouer les Alphonse Daudet ! : désireux d'en terminer avec cette Arlésienne déjà beaucoup annoncée, et toujours différée, c'est avec nos amours d'antan que je vous propose de renouer : je vous fixe pour cela rendez-vous mardi prochain, le 9 février, à l'entrée de la Salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Promis, j'y ferai le point : qu'avons-nous déjà pu admirer dans cette salle ?
Qu'allons-nous y découvrir par la suite ? ...
J'y serai donc ; et vous ?