Le dérangeur de génie
Le Musée Unterlinden de Colmar présente, jusqu'au 12 octobre encore, des peintures et dessins de Charles Lapicque. Une invitation à découvrir à travers une soixantaine de tableaux et une trentaine de dessins, l'œuvre d'un artiste méconnu, qui a traversé le vingtième siècle sans jamais être enfermé dans un courant dominant. Cette exposition est organisée conjointement avec le musée de l’Hospice Saint-Roch à Issoudun et le musée de l’Abbaye Sainte-Croix aux Sables d’Olonne.
Charles Lapicque n'est pas le peintre d'un seul style. Il se démarque tout au long de son travail par un décalage constant, même si on reconnaît dans ses œuvres l'influence du Fauvisme, du Cubisme ou encore celle de peintres comme Henri Matisse, Raoul Dufy ou Nicolas de Staël, même si parfois il nous renvoie à l’Art Brut et aux Surréalistes. Sa peinture est à contrecourant : alors que dans les années quarante, l'abstraction domine, il revient à la figuration. Ses thèmes varient également, passant de la nature morte (les nappes) aux thèmes historiques classiques (les mythes de l’Antiquité), des scènes sportives (tennis et équitation) aux bords de mer et aux bateaux (il fut à partir de 1948 Peintre agréé de la Marine et le resta pendant une quinzaine d’années). Cependant si les sujets sont classiques, ils sont toujours traités dans un esprit d’avant-garde. Rejetant les formalismes, maniant sa palette et ses crayons avec humour, voire avec causticité, guidé par son goût de l’exploration issu de sa formation scientifique, curieux de tout mais enfermé nulle part, Charles Lapicque est un artiste hors-cadre. Se nourrissant de tout et testant sans relâche, il décale et déplace le regard, forçant le spectateur à la réflexion, le déstabilisant par ses questions. Il invite le spectateur à sortir des sentiers battus et à prendre des chemins de traverse, même si parfois on peut y croiser la route d’autres artistes. En fait, son incessant décalage le place en situation de précurseur, à la fois du Pop Art, du Nouveau Réalisme et de la Nouvelle Figuration.
Inclassable et de ce fait dérangeant, il est l’empêcheur-de-tourner-en-rond de la création artistique, ne se trouvant jamais là où on l’attend, surgissant ailleurs avec ses questions, avec son regard oblique, remettant en permanence le travail et sa réflexion sur l’ouvrage. L’évolution des courants artistiques n’a jamais été une rivière tranquille mais bien une succession d’avancées audacieuses et de ruptures fortes, Charles Lapicque est de ceux qui donnent des coups-de-pieds dans les fourmilières pour éviter que leurs sociétés ne s’y endorment. A travers ses propositions, passant de l’observation à sa transcription sensible, il interroge le sens du monde et observe inlassablement sa cohérence.