Poésie et réalité
La
poésie est beaucoup plus qu’un genre littéraire ou qu’une formule
ludique : c’est la parole de l’homme convertie en création et menée à son
extrémité, là où le mot de Nietzsche acquiert une force à donner le
frisson : DIS TA
PAROLE ET BRISE-TOI. Oui, je crois que la poésie, finalement, consiste en cela : créer
et se briser. Est-il une autre manière de résoudre l’énigme d’être et de ne pas
être ?
La poésie sera
toujours proche de l’amour. C’est un thème illimité et qui renaît à jamais
comme s’il était inaugural. Sans doute ressemble-t-il en cela à l’amour même :
tout amour est le premier.
Art de l’impossible,
la poésie est une recherche constante de l’autre côté des choses, du caché, de
l’envers, du non-apparent, de ce qui semblait ne pas être.
Ainsi en va-t-il de
l’espace de la poésie et de l’espace de la réalité que je vais tenter de mettre
en relation : ils ne tiennent pas l’un dans l’autre. Pas plus qu’ils ne
tiennent dans l’espace tellement relatif de ces mots. Pourtant la poésie est
une tentative risquée et visionnaire d’accéder à un espace qui a toujours
préoccupé et angoissé l’homme : l’espace de l’impossible, qui parfois
semble aussi l’espace de l’indicible.
Roberto Juarroz, Poésie et réalité, traduit de l’espagnol
par Jean-Claude Masson, collection « Terre de Poésie », Editions
Lettres Vives 1987, pp. 55/56, 47, 36, 8
Contribution de Maryvonne Lyoen