Lundi, 1er février 2010
Bien que les crises à gérer ne manquent pas présentement, Barack Obama s’attaque maintenant à la Cour suprême en dénonçant sa plus récente décision et en promettant de faire tout en son pouvoir pour la contester.
Le cas concerne une décision de la Federal Election Commission (FEC) d’empêcher un groupe conservateur appelé Citizens United d’utiliser ses propres fonds pour financer et promouvoir le film < Hillary:The Movie>, un documentaire très critique à l’endroit de la sénatrice qui tentait alors d’obtenir l’investiture du parti démocrate à l’élection présidentielle de 2008.
Par une décision de 5 voix contre 4, la Cour suprême a réfuté l’argumentation de la FEC qui veut limiter dans certains cas les contributions de sociétés américaines ou étrangères aux campagnes électorales.
Depuis la retraite en 2005 de la juge Sandra Day O’connor, qui assurait un fragile équilibre entre libéraux et conservateurs au sein de la cour, et son remplacement par le juge Samuel Alito, ainsi que le décès la même année du juge en chef William Rehnquist remplacé par le juge John Roberts, deux nominations de Georges W. Bush, la Cour suprême des États-Unis est majoritairement républicaine.
Les 5 voix conservatrices ont fait valoir le premier amendement à la constitution des États-Unis, soit celle qui garantie la liberté d’expression, pour justifier qu’il soit permis à quiconque en tout temps de financer un projet qui peut avoir comme conséquence de modifier l’opinion publique à la veille d’une élection.
Les 4 voix libérales insistaient pour leur part sur la nécessité de mécanismes pour empêcher que le résultat d’une élection à un poste public soit déterminé par la participation démesurée à la dernière minute d’un groupe d’intérêt, ce qui fausserait le jeu de la démocratie.
En somme, la question était de savoir si la sacro-sainte liberté d’expression permet à quiconque de s’ingérer dans le processus électoral au détriment peut-être de la démocratie elle-même ? La Cour suprême a répondu oui, ce qui a rendu Barack Obama furieux.
John Paul Stevens
Les décisions de la Cour suprême s’accompagnent généralement d’une opinion des juges qui ont voté contre. Dans le cas de FEC c. Citizens United , c’est le vénérable juge John Paul Stevens qui a rédigé l’opinion minoritaire. Le juge Stevens aura 90 ans en avril.
La bi-partisannerie de la Cour suprême est perçue par plusieurs comme un danger pour la démocratie américaine, et ce jugement en fournit sûrement un bel exemple. Dans son opinion, d’une grande sévérité à l’endroit de ses pairs, John Paul Stevens commence ainsi (je n’ai pas voulu traduire le texte afin de m’assurer de ne pas modifier le ton et le fond des propos du juge. ” The Court’s ruling threatens to undermine the integrity of elected institutions across the Nation. The path it has taken to reach its outcome will, I fear, do damage to this institution.” Et il poursuit:” Five justices were unhappy with the limited nature of the case before us, so they change the case to give themselves an opportunity to change the law.”
Le juge Stevens explique qu’il voit dans ce jugement un danger pour l’individu. ” The Court’s blinkered and aphoristic approach to the First Amendment may well promote corporate power at the cost of the individual and collective self-expression the Amendment was meant to serve. It will undoubtedly cripple the ability of ordinary citizens, Congress, and the states to adopt even limited measures to protect against corporate domination of the electoral process.”
Dans les années antérieures, la Cour s’était penchée à deux reprises sur une question similaire, soit les cas connus sous les noms de Austin et McConnell. Dans les deux cas, la Cour avait tranché dans l’autre sens. John Paul Stevens conclut alors :” The only relevant thing that has changed since Austin and McConnell is the composition of this Court ”.
Si le jeune président des États-Unis veut s’attaquer à la Cour suprême, son meilleur allié est probablement le vieillard qui y siège.