Lors de la guerre de Gaza (décembre 2008-janvier 2009), Tsahal n’a pas « tué intentionnellement des civils » palestiniens et Israël n’a fait qu’exercer « son droit d’auto-défense » face à des « attaques terroristes » contre son territoire. C’est la ligne de défense qu’adopte l’État hébreu dans un document justificatif sur le rapport Goldstone, qui devrait être remis à l’ONU ce vendredi.
Publié en septembre dernier, le rapport Goldstone, un document de 575 pages commissionné par l’ONU, accuse Israël et le Hamas de « crimes de guerre » voire de « crimes contre l’humanité » durant la guerre de Gaza.
L’offensive israélienne aurait également, selon le rapport du juge sud-africain, ciblé de manière « intentionnée et préméditée » la population civile gazaouie. Le bilan de l’opération « Plomb durci » s’était soldé par plus de 1400 morts côté palestinien, en majorité des civils, et 13 côté israélien.
Ce rapport de Richard Goldstone embarrasse de plus en plus l’État hébreu, qui craint de voir certains de ses responsables traduits devant la justice internationale.
Explications.
Depuis de longs mois, les responsables israéliens fustigent dans le texte son « parti-pris anti-israélien ». En octobre, le vote d’une résolution en faveur du rapport au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU de Genève (composé notamment d’États comme la Russie, la Chine ou Cuba) avait suscité une déception certaine, voire ironique, dans le pays.
Les critiques se sont faites encore plus virulentes ces derniers jours. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a laissé entendre le week-end dernier que le rapport Goldstone avait alimenté un « antisémitisme [qui] vise à priver l’État juif de son droit à l’autodéfense ».
Concernant le fond du dossier, les responsables politiques et militaires israéliens affirment que le rapport Goldstone souffre de plusieurs erreurs. Dans le New York Times, le général Avichaï Mandelblit a expliqué la semaine dernière que pas moins de 140 plaintes visant des soldats israéliens avaient été examinées, et que plusieurs documents et films prouvent que beaucoup d’accusations du rapport Goldstone sont « mensongères ».
Pour l’historien du CNRS François Lafon, actuellement en délégation au Centre de Recherche Français à Jérusalem, « le rapport est perçu de façon unanime comme biaisé » par la société israélienne. « Même l’intelligentsia de gauche partage ce constat », précise-t-il. Richard Goldstone, pourtant lui-même juif et se disant « sioniste », n’échappe pas aux critiques. « Le fait que Goldstone soit un juge anti-apartheid est perçu comme une caution, souligne François Lafon. Chez certains Israéliens, cela veut dire que l’on considère Israël aussi comme un État apartheid ».
Dans le détail, « les Israéliens jugent le texte déséquilibré et sous-estimant le rôle du Hamas », dit l’historien. « Certaines choses choquent : par exemple, le fait que l’on prenne comme preuves les témoignages de personnes soumises à des pressions (page 12, paragraphe 35 du rapport) pour expliquer que les groupes armés palestiniens n’ont pas utilisé de boucliers humains. »
Pourquoi ce texte inquiète Israël ?
« C’est Israël qui a le plus à pâtir du rapport, le mouvement islamiste palestinien étant déjà assimilé par les Occidentaux à une organisation terroriste », expliquait Libération en septembre. Surtout que le rapport Goldstone ne s’est pas contenté d’un constat.
Il a aussi formulé une recommandation, celle de saisir la Cour pénale internationale (CPI) si Israël et les Palestiniens n’annoncent pas d’ici fin janvier leur intention de mener des enquêtes « crédibles » sur la conduite du conflit. « Il y a une crainte réelle des dirigeants israéliens de se retrouver devant la CPI », explique François Lafon. L’annulation du voyage de Tzipi Livni à Londres a aussi été très mal perçue, voire considérée comme une théorie du complot », précise-t-il.
En décembre dernier, un tribunal britannique, évoquant la compétence universelle, avait prévu d’arrêter l’ancienne ministre des Affaires étrangères israélienne. Enfin, les remous provoqués par ce rapport peuvent avoir des conséquences désastreuses en terme d’image pour Israël, qui apparaît réticent à mener toute enquête crédible. Le rapport risque-t-il d’être enterré ?
Côté israélien, le flou demeure sur la stratégie à adopter. La réponse fournie ce vendredi à l’ONU (Israël n’a fait que se défendre, en substance) représente une ligne de défense classique. Mais elle ne répond pas aux injonctions des Nations unies sur la nécessité d’une enquête indépendante et conforme aux standards internationaux sur la guerre de Gaza. Si le ministre de l’Information, Youli Edelstein, a affirmé cette semaine que son pays refuserait de créer une telle commission, le gouvernement semble de plus en plus partagé sur cette question.
« Chez certains responsables israéliens - Barak, Ashkenazi - commence à poindre l’idée que ne pas avoir participé à une enquête était contre-productif », avance François Lafon. Dans une interview au quotidien israélien Haaretz ce vendredi, l’ex-conseiller juridique du gouvernement, Menahem Mazuz, affirme qu’une commission s’impose afin que « le rapport Goldstone ne continue pas à hanter Israël en détruisant sa légitimité ».
Selon la presse, Israël pourrait accepter de mettre en place une commission, aux pouvoirs limités, chargée d’auditionner certains dirigeants politiques et chefs militaires. Haaretz explique ainsi que cette commission « ne serait pas autorisée à questionner officiers et soldats qui ont pris part à l’offensive contre Gaza ». Le quotidien Yediot Aharonot précise qu’elle se bornerait à examiner les consignes données par le commandement, dans le but de disculper Israël de toutes les allégations de crimes de guerre.
De son côté, le Hamas, lui aussi visé par le rapport Goldstone, a absous mercredi les groupes armés palestiniens, dont son bras armé, de tout crime de guerre durant le conflit à Gaza l’an dernier, en indiquant avoir mené ses propres enquêtes conformément aux recommandations du rapport.
Accusé d’avoir tiré plus de 800 roquettes et obus de mortier contre le territoire israélien pendant le conflit, le Hamas rétorque que « (les groupes armés) ont frappé des cibles militaires et ont évité les cibles civiles, et toutes les accusations dans ce sens concernent des balles perdues ».
Réponse de Michel Morzière, de la coordination Israël, Territoires palestiniens occupés, à Amnesty International France : « L’enquête du Hamas n’a pas été faite selon des critères internationaux. Des roquettes envoyées sur des civils, ce sont des crimes de guerre. »
Et maintenant ? « Amnesty refuse des marchandages inacceptables », interpelle Michel Morzière. Pourtant, il se pourrait bien que le rapport Goldstone soit enterré. Responsables israéliens et du Hamas, par leur attitude, lui ôtent sa crédibilité. La création éventuelle d’une commission d’enquête interne en Israël, qui mettrait plusieurs mois à rendre ses conclusions, pourrait ajouter de la confusion.
« Le rapport Goldstone n’a pas pu interviewer toute les chaînes de commandement, c’est pour cela qu’il faut de nouvelles enquêtes. Il y a peut-être des choses discutables dans ce rapport, voire des erreurs, mais quand on est de bonne foi, on accepte d’en discuter », veut croire Michel Morzière. Qui dénonce aussi l’attitude israélienne : « Quand on parle de bombes au phosphore dans des zones à forte densité de population ce sont des faits établis, et par plusieurs associations ».
On devrait en savoir plus d’ici au 5 février (c’est la date limite à laquelle le conseil de sécurité de l’ONU doit examiner la résolution prise à Genève en octobre). « Le veto américain sur la saisine de la CPI est probable, explique Michel Morzière. Autre clé d’entrée, que Ban interpelle directement la CPI. La compétence universelle peut aussi être utilisée. »
Libération le 29 01 / Par SYLVAIN MOUILLARD
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