J’avais très envie de le lire ce petit Wenfu LU, « Vie et passion d’un gastronome chinois » pour plus d’une raison.
Envie de partir dans une Chine de l’intérieur, avoir l’impression d’être dans la peau d’une expatriée au cœur du peuple, comme une Fabienne VERDIER ou ma mère, expatriée 2 ans dans un quartier populaire de Shangaï. Envie de parler de gastronomie, d’aliments, de produits consommables et puis envie de redéfinir ce qu’est la gastronomie par rapport à l’alimentation.
Mes attentes étaient peut-être trop importantes, j’ai été un peu déçue.
Il est question d’un duel entre deux hommes, Gao Xiating et Zhu Ziye, sur 40 ans (1930/1970) dans un village du Suzhou. Apposition et opposition de deux conceptions de la Chine politique et des plaisirs comme ceux gustatifs que peut être la gastronomie.
*source village préservé de Suzhou
Le roman nous ramène bien dans ce village de la Venise orientale, avec une vraie distinction entre les niveaux et conditions de vie différents des bourgeois et des autres. Le rapport différent au travail bien sûr mais aussi, et surtout ce qui fait l’originalité de l’histoire, un rapport différent au superflu, au bonheur personnel, individuel et non communautaire : la nourriture. Il y a cependant de nombreux faits politiques, révolutionnaires, importants mais pesant quelques fois trop par rapport à mon attente de redéfinir l’alimentation comme plaisir, survivance ou affront politique. Gao, élevé près de ce Zhu Ziye, répond, enfant, à toutes ses demandes de courses alimentaires, petits encas de gourmet, et dépend aussi de sa générosité. Il en ressort une haine de la bourgeoisie, de cette dépendance financière, de cette considération du travail malmenée et aussi de tous les loisirs inaccessibles au petit peuple.
Les moments de gastronomie pure sont un vrai délice d’exotisme et d’astuces ancestrales pour bien cuisiner. Au départ, nous suivons les vues du gourmet, gourmant Zhu Ziye, par l’hostilité de ce Gao adolescent, puis de ce Gao, devenu restaurateur par un malencontreux concours de circonstances. Les professionnels de la cuisine partent et laissent la place à une alimentation de travailleurs, avec les plats qui tiennent au corps. « Le prix que l’on attache au féculent, considéré comme fondamental parce que véritablement nutritif, en regard de celui des plats d’accompagnement conçus comme des faire-valoir moins nécessaires, se perçoit avec acuité dans la question que l’on vous pose souvent à la fin d’un repas : « Combien de mesures de riz as-tu mangées ? »
En revanche, au plus haut niveau de la gastronomie, cet ordre semble s’effondrer. Un banquet se compose de nourritures « secondaires » auxquelles leur nombre, leur diversité et leur abondance donnent le premier rôle. Elles deviennent des plats de résistance dont on doit se rassasier, alors que le riz dans un renversement des valeurs est servi en fin de repas et n’est pas consommé. Y toucher serait une insulte pour votre hôte et signifierait que le festin est médiocre. »
Puis par retour politique et considération philosophique, un retour aux traditions et à la qualité. Les extraits sont merveilleux : l’adjonction de sel, la cuisson raffinée des nouilles
*source peinture d'un marchand ambulant de soupes aux nouilles, Chiu Hsi-hsun, prise ici (où vous retrouverez un très bel article sur cet artiste de l’asphalte)
et l’apaisement par le repas sont repris sur ce site (lien que je vous laisse suivre avec la quatrième de couverture). En effet, le pouvoir politique change mais aussi la considération de ce plaisir. Gao se rend compte que ce luxe de la gastronomie est envié même par les travailleurs, que préparer un bon repas est un acte de convivialité et d’accueil (sa grand-mère ou les passages de ses amis) et que minimiser l’impact de ce plaisir et aussi minimiser voir annihiler la fonction de lien social et d’affectivité de la nourriture dans une société. Et puis ses papilles se mettent à l’œuvre aussi, par expérience, et ne dénature plus les préceptes de cet imbu de Zhu Ziye de « se nourrir de saveurs ». Pour aller plus loin dans ce personnage principal qu’est la gastronomie le texte de Catherine MONCOFFRE est à lire absolument.
Je suis restée aussi un peu sur ma faim, l’estomac plein en imaginaire pourtant, car je n’ai pas décelé dans ce roman de demi-mesure : savoir apprécier les saveurs, les traditions tout en restant entre les deux niveaux de vie. Et puis ce duel, ces vengeances successives, ne m’ont pas permis de mettre à profit ce parcours initiatique…un peu trop d’attente, trop de précipitation dans la lecture en sont sûrement la cause…un livre à relire donc !
Vous trouverez l’avis intéressant des chats de bibliothèque ici et n’hésitez pas à lire ce duel sur un aliment de luxe en période de famine: la citrouille, offrande pour l’un devenu homme respectable, et recette de pastèque surprise pour l’autre, rentier devenu mendiant et aigri. Je vous ai laissé aussi un petit extrait pour aller nous remettre d'accord, un thé et de la gastronomie dans un salon de thé, ici.