Lorsque j'ai débuté ma carrière de journaliste radio, on me comparait souvent
à Anne Sinclair tant dans ma posture que dans mon phrasé, j'en était flattée, elle fut mon modèle et j'ai connu comme elle la passion du direct, de cette montée d'adrénaline
particulière qui font que ce métier me manque infiniment. Quelques secondes qui précèdent la prise d'antenne qui galvanisent et font défaillir de trac à la fois.
Je ne pensais plus a cette proximité professionnelle depuis longtemps lorsque je fus interpellée
par la fâcheuse mésaventure qui lui est arrivée récemment et qui lui fit écrire : "La nationalité française n'est plus une évidence pour qui l'a toujours eu". Née à Oullins , nantie
d'une carte d'identité française depuis toujours, c'est avec une sereine assurance que j'en demandais récemment son renouvellement. Jamais je n'aurai imaginé alors dans quel délire
administratif j'allais être plongée, que je peux qualifier sans hésitation de Kafkaïen. Née d'un père dont je croyais naïvement que son passage par le camp d'Auschwitz puis
son rapatriement ensuite en France en 1945 lui avait servi de "sésame"pour être admis dans la communauté des Français, je n'avais pas imaginé un instant qu'il était encore un étranger à ma
naissance.
S'ensuivit une quête des bons documents pour justifier que, mais oui, je suis française, enfin, je crois... pour obtenir, enfin, ce certificat de nationalité française, que je dois
désormais produire comme preuve de ma légitimité à la revendiquer. Ce document est un morceau d'anthologie, il restitue en raccourci une vie d'errance imposée. Pour exemple, ce
passage: " En effet, sa mère, Mala Esther Szotland , née à Cracovie Pologne, a acquis la nationalité française par l'effet collectif de la naturalisation de son père Abraham Osias S, né à
Brrzeziny, Pologne, par décret du 02 janvier 1940 et ne l'a pas perdu par l'effet de son mariage en 1946 avec un étranger Oling Max. En effet, il n'a été trouvé aucune trace d'une déclaration
à son nom en vue d'acquérir la nationalité étrangère de son mari". Mon père fut naturalisé français dix ans après ma naissance...
Alors, oui, depuis, la nationalité française pour moi a perdu sa tranquille évidence, je dois la justifier, à défaut de la revendiquer. Comme Anne Sinclair, comme tant
d'autres.