Every Extend Extra, Music in your mind

Publié le 24 mars 2007 par Jérôme / Khanh Dittmar / Dao Duc


Si nous aimons les jeux de Q entertainment et Tetsuya Mizuguchi, (Rez, Meteos, Lumines, Every Extend Extra...), c'est en vérité pour la seule et même raison : Celle qu'ils sont guidés par cette vieille idée que rien ne doit jamais se créer ou se perdre mais se transformer, une idée bien éloignée du principe d'élimination qui structure habituellement le puzzle game. La disparition d'éléments ne se fait ainsi jamais dans ces jeux sans entrer dans le cadre d'un processus plus large de conversion qui définit le jeu même (cinétique chimique dans Meteos qui fait décoller les blocs inertes, conversion en signaux lumineux et sonores dans Lumines et Rez qui recomposent l'environnement dans lequel on joue...), ouvrant bien souvent la possibilité d'un rapport inédit entre le joueur et le jeu, et donc de régimes d'intensité singuliers, tantôt fuite dans l'urgence de systèmes hyper accélérés, tantôt contemplation d'un monde ralenti par une viscosité élevée ou peuplé d'une myriade de signes créateurs d'affects.

Every Extend Extra, ne déroge pas à cette règle, en reprenant le concept d'un manic shooter (1) aussi brillant et accrocheur que d'une profonde radicalité. Dans ce sous-genre du shoot em up (voir les Gigawing et autres Psyvariar...) où il s'agit d'échapper à une nuée de boules colorées occupant la quasi-totalité de l'écran, et où priment dès lors habileté et adaptation sur une capacité de mémorisation condamnée à saturer, la spécificité d'Every Extend Extra consiste à proposer comme seule arme sa propre autodestruction. Le but du jeu est ainsi d'échapper aux ennemis d'une part, et d'autre part, se placer parmi eux de façon à former la plus grande chaîne possible, afin que cette autodestruction entraîne des explosions en cascade libèrant du temps et des vies supplémentaires. Le jeu ne fonctionne alors pas tant sur le registre du shoot que sur une conception plus abstraite des formes dans l'espace de l'écran qui le rapproche du puzzle game. Le joueur y réalise dès lors la conversion d'un flot chaotique et divergent (celui des éléments qui se déplacent aléatoirement à l'écran) en un autre flot polarisé (la chaîne d'explosions et son mode de propagation) qui fait que le jeu ne relève pas d'un principe de suppression propre au shoot em up ou au puzzle game, mais de l'émergence singulière d'un signe ordonné et convergent.

Sur ce principe transfigurant les règles classiques du shoot'em up s'ajoute dans Every Extend Extra le talent des développeurs de Q entertainement pour inscrire ce même principe dans une dynamique intensive sublimant le jeu. Comme dans le prodigieux Lumines, le jeu déploie une rythmique par le biais ici des quicken qui permettent d'accélérer la dynamique interne et relative de la partie, comme indicateurs de tempo. Parrallèlement à un accroissement de la difficulté se déploie alors un véritable festival synesthésique où les sons et couleurs se conjuguent au sein de réactions en chaîne toujours plus longues, faisant disparaître ses éléments en même temps qu'elles font naître une multitude de sons et de formes (cubes, étoiles, feux d'artifice...). Et par là même, c'est tout l'espace et le temps qui vibrent ensemble, dans ce voyage immobile où l'on affrontera des boules de lumières à l'intérieur d'un stroboscope tournoyant, et d'autres créatures de lumières dans des illusions de vitesse tubulaires, gyratoires ou curvilignes, et où, pris par ce défilement hypnotique, on accordera finalement plus de valeur à l'illusion du monde que le monde même. De l'art? Peut-être. Du jeu vidéo, en tout cas.

Khanh Dao Duc

(1)Every Extend (2004), jeu freeware développé par le développeur amateur Omega http://nagoya.cool.ne.jp/o_mega/product/e2.html