Jeudi après-midi, à l'interclasse, une ancienne élève se présente à moi et dit venir me rendre une petite visite. Je reconnais bien son visage effectivement. Elle était mon élève en terminale en 2005, c'est elle qui le précise. Impossible de me souvenir de son nom, encore moins de son prénom. Qu'importe me dit-elle "vous nous aviez prévenus de votre mauvaise mémoire".
Et la voilà qui me raconte son parcours scolaire, en Allemagne, aux Pays-Bas. Je lui pose quelques questions sur son type d'études. Elle est "dans la communication d'entreprise". Et la voilà partie pour m'expliquer la communication interne de l'entreprise, la différence avec la communication entre les entreprises, etc. Cinq, six minutes sont maintenant passées.
Je vais chercher mes élèves dans le couloir, il s'agit de reprendre le cours, l'interclasse est terminé. Les élèves rentrent. Mon ex élève est toujours là. Je pense qu'elle va me saluer, puis s'en aller... Pas du tout. Les élèves sont maintenant installés. Et la voilà qui se présente aux élèves et raconte son année de terminale en SES avec moi, jouant les anciennes "et de mon temps c'était la craie et le tableau, et je vois que maintenant c'est vidéoprojecteur et powerpoint, ha ! ça a bien changé", et elle continue, elle continue, les élèves commencent à la relancer lui demandant ce qu'elle fait comme études, et elle répond, voilà un quart d'heure qu'elle parle, puis se met à donner des conseils sur le choix des études, et elle mime sa mère qui lui disait que... cela devient un vrai spectacle, une pièce de théâtre, un intermède que les élèves s'empressent d'allonger en répondant positivement à son ballet.
Je ne peux que m'appuyer sur le rebord d'une table et attendre que cela passe. Et quand je crois que le flot va se tarir, que nous allons pouvoir prendre congé, la voilà qui relance en posant des questions aux élèves à son tour, pour savoir si j'ai toujours les mêmes habitudes, si j'ai toujours le goût des phrases choc. Mamamia ! Pas ça ! Les élèves se mettent à en citer quelques unes qu'ils ont retenues. Elle est toute heureuse, l'ex élève. Je n'arrive pas à me décider de la prier de sortir, à la pousser vers la porte, la virer quoi, non je n'y arrive pas... après tout une élève qui vient vous revoir, et rien que vous ! et après 5 ans ! je ne peux pas. Trente minutes sont maintenant passées. Puis trente-cinq. Puis quarante.
Elle est tout de même partie, nous saluant tous, au bout de quarante minutes. Quelque part, je devrais me sentir flatté. Ce que je suis finalement. Je pense même qu'il n'y en aura pas tant que cela des élèves de ces 2 ou 3 dernières années qui viendront me revoir. Le père Vincent commence à fatiguer sérieusement. Et surtout à fatiguer les élèves.
Au retour, chez moi, je me suis mis à consulter mes anciennes fiches d'élèves et j'ai retrouvé le nom et le prénom de cette élève : Audrey B. Je salue donc ici Audrey , et je lui souhaite de garder le plus longtemps possible cet enthousiasme et cette petite folie , ce côté atypique qui peut gêner un vieil ours comme moi mais qui, au fond, ne fait qu'admirer cet élan vers les autres que lui n'a jamais eu.