Depuis le début de la semaine, les pelles mécaniques sont au travail, remplissant les camions du CNE (Centre National des Equipements), essayant, tant bien que mal de rendre les rues à la circulation automobile. Port-au-Prince, Léogane et de nombreuses locatités environnantes se réveillent d'un long cauchemar, un cauchemar qui ne dure que depuis quinze jours, ce qui, pourtant, paraît être une éternité à ceux qui ont vécu la tragédie du 12 janvier qui a laissé des centaines de milliers de victimes sur les trottoirs ou sous les gravats de la ville la plus importante d'Haïti.
Si les morts sont bien morts et s'il est obligatoire d'accepter la disparition d'êtres chers pour continuer à avancer, les survivants se questionnent sur l'orientation à donner à leur vie, à leur ville, à leur pays. Un questionnement d'autant plus important que nombreux sont ceux qui se demandent pourquoi il y a tant de morts, tant de maisons détruites alors qu'ailleurs, un séisme de la même intensité fait au moins dix fois moins de victimes.
Selon un employé des Nations-Unis travaillant dans le secteur de la communication, le tremblement de terre qui a frappé Haïti la mardi 12 janvier 2010 est l'un des plus dévastateurs, sinon le plus meutrier, jamais enregistré, le bilan définitif étant loin d'être établi (probablement qu'il ne le sera jamais), non pas en terme d'intensité, mais en ce qui a trait à l'impact sur la population.
Dans notre petit pays, le plus pauvre de l'Amérique, la nature a réagi avec une rare violence, dénonçant les incompétences et les incuries tant privées que gouvernementales, enfonçant avec rage le doigt dans la plaie de la médocrité qui gangrène notre société au sein de laquelle la permissivité a atteint le seuil de l'intolérable.
Des centaines de milliers de gens sont morts parce que rien n'a été fait pour les protéger. La politique du laisser-aller, de « lese grennen » de nos dirigeants et autres soi-disant hommes politiques, à des fins électorales n'a produit que la souffrance et le deuil au sein des familles haïtiennes. Il faut avoir le courage de mettre les responsabilités là où il le faut.
Les leçons n'ont pas servi d'exemples. La catastrophe de Nérette, en .....,qui a fait pleurer tant de citoyens, n'aura servi à rien. Cette centaine d'écoliers qui avaient perdu la vie lorsque leur école, construite hors-normes par son directeur-propriétaire-ingénieur improvisé, s'était écroulée pendant les heures de cours. Relaxé par la justice, bénéficiant de circonstances atténuantes au point de passer pour l'une des victimes, cet individu qui, dans n'importe quel pays serait encore en prison, est devenu un modèle pour les charlatans de toute sorte qui, à titre d'ingénieur ou d'architecte, érigent des constructions, parfois très imposantes, au péril de la vie des locataires qui, le 12 janvier ont payé le prix fort pour que cesse cet état de choses.
Ceux qui ont pu approcher les ruines des maisons qui se sont effondrées lors du séisme ont pu constater que la plupart d'entre elles présentaient quelques similitudes. Le manque de ciment dans le béton faisait que celui-ci s'effritait au toucher. Les blocs, mal comprimés, faits de mauvais matériaux, n'ont pu résister aux vibrations.
Les problèmes techniques des constructions, dans un pays où il n'existe aucun code de construction, sont la preuve de l'irresponsabilité de nombre d'ingénieurs qui se soucient peu ou pas de la sécurité des habitants des maisons qu'ils construisent, et de l'incurie ou de l'incompétence des employés des services de génie municipal qui délivrent des permis de construction pour des édifices qu'ils ne visitent jamais. Pendant ce temps, la Protection Civile ne fait aucune prévention, se contentant de faire semblant de gérer l'ingérable.
Par ailleurs, il faut reconnaître qu'au moins 70% des maisons de Port-au-Prince ont été construite sans l'apport technique d'un ingénieur ou d'un architecte. Une situation qui devrait questionner tous les citoyens soucieux du développement harmonieux de leur communauté, de leur pays.
Aujourd'hui, on déblaie, Demain, il faudra reconstruire. Reconstruire quoi ? Reconstruire comment ? Qui va s'occuper de la reconstruction ?
Déjà, certains, sans même attendre la fin de l'alerte, commencent à reconstruire ou à restaurer des immeubles qui, en principe, auraient du être abattus. Et, pour cela, des irrresponsables continuent à exploiter les mines de calcaire de Laboule alors qu'il y a encore des dizaines de morts et des véhicules sous le sable, à l'endroit même où les pelles reprennent leur activité.
L'exploitation des carrières de sable de Laboule risquent de provoquer des éboulements qui peuvent avoir des conséquences dramatiques pour les populations des environs. Le sommet même du morne peut s'effondrer à tout moment ainsi que le prédisent certains habitants de la localité qui redoutent le début de la saison pluvieuse qui risque de fragiliser encore plus un terrain que sa nature calcaire, très friable, rend déjà très instable d'autant plus que, depuis le séisme du 12 janvier 2010, de nombreuses fissures sont apparues dans le sol et ne laissent rien augurer de bon.
Il est à espérer que les autorités concernées, dans la mesure où elles existent encore, prendront les dispositions nécessaires pour mettre définitivement un frein à cette destruction environnementale qui pourrait coûter extrêmement cher à un pays déjà en crise économiquement et socialement.
Finalement, serait-ce, là, l'occasion de vérifier que ceux qui prétendent nous diriger sont, plus ou moins, à la hauteur de leur tâche ?
Déblayer, construire, et quoi encore ?
Espérons que nous aurons appris nos leçons de cette terrible tragédie et que, par respect pour nos morts, nous aurons la décence de vouloir ériger quelque chose de décent sur les ruines des villes qui ont payé très cher leur laisser-aller, l'incurie de nos institutions et le laxisme de nos hommes d'Etat.
Vivement demain que l'on voit de quelle reconstruction il s'agit ! Que Dieu nous protège !
Patrice-Manuel Lerebours