En réécoutant « Angelene » de PJ Harvey, qui cite deux vers envoyés par un paumé à sa femme, lorsqu’ils commençaient juste à se fréquenter, dans la nouvelle qui porte presque le même titre :
Rose is my color and white
Pretty mouth and green my eyes,
(et, tandis qu’il se plaint au téléphone à un ami aux cheveux gris, ces vers amènent un début d’apaisement à l’homme délaissé, ouvrent les vannes du souvenir ; et sa femme revient au bercail, du moins le prétend-il pour faire bonne figure),je vous conseille de lire toutes les nouvelles de Salinger, et, en guise d’apéritif, voici une scène de cocktail tirée de « Franny » :
« Je crois que dans une certaine mesure j’ai eu raison de dire qu’aucun des vrais grands, Tolstoï, Dostoïevsky, et même ce bon dieu de Shakespeare, n’ont pressuré les mots comme des oranges. Ils se sont contentés d’écrire. Tu me comprends ? » Lane regarda Franny d’un air plein d’espoir. Elle paraissait l’avoir écouté avec une attention tout particulière.
« Est-ce que tu manges ton olive ou non ? »
Lane jeta un bref coup d’œil sur son verre de martini, puis il regarda Franny. « Non », dit-il froidement. « Tu la veux ? »
« Si tu ne la manges pas », dit Franny. Elle vit tout de suite à l’expression de Lane qu’elle avait posé une mauvaise question. Et, pis encore, maintenant elle n’avait plus du tout envie de l’olive et elle se demanda pourquoi elle avait voulu la lui prendre. Mais lorsque Lane lui tendit son verre, elle ne put rien faire d’autre que de prendre l’olive et la mâcher avec une satisfaction apparente. Elle prit ensuite une cigarette dans le paquet que Lane avait laissé sur la table, il lui donna du feu et en alluma une pour lui.
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J’ai vu cette semaine le film sans lequel on ne peut pas comprendre le goût affirmé par Marilyn dans Some like it hot pour les milliardaires à lunettes : délicieuse myope dans How to marry a millionaire, elle choisit finalement un bigleux pas en règle avec les impôts qui la trouve belle même avec ses lunettes. La Sugar de Wilder aura la même apparente rouerie et choisira aussi finalement un homme selon son cœur (c’est-à-dire un saxophoniste de jazz).
Moins inspirée, je suis allée voir le dernier film de Christophe Honoré. Je me souvenais pourtant de ce qu’en disait Patoumi… et je n’ai pu que me ranger à son avis, agacée aussi bien par l’histoire de Non, ma fille, tu n’iras pas danser (suivre les errements de l’héroïne, pourtant impeccablement jouée par Chiara Mastroianni, n’est pas de tout repos, et « liberté » - qu’on se rappelle l’affiche « Vivez libre » - n’est pas le premier mot qui me vient en pensant à Lena ; le rôle de la sœur me paraît aussi confus, tantôt castrateur tantôt affectueux) que par les multiples clins d’œil qui deviennent des facilités ici (par exemple la lecture de volumes de l’école des loisirs ou l’écoute régressive d’un tube estampillé années 70 ; on trouve déjà ça dans « Dans Paris » et ce tic m’avait aussi frappée dans « La belle personne »). Mieux vaut revoir « Une femme sous influence »…