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Entretien avec Dany Laférrière

Publié le 30 janvier 2010 par 509
Entretien avec Dany LaférrièreIl refuse de parler de destin, mais n'empêche. Le hasard a voulu que l'écrivain Dany Laferrière, qui s'est exilé d'Haïti il y a plus de 30 ans, se trouve dans son pays d'origine au moment du terrible tremblement de terre, le 12 janvier. Il y était pour participer au festival littéraire Étonnants Voyageurs. Un événement qui n'aura jamais eu lieu. Le hasard, aussi, a voulu qu'il soit attablé au restaurant de son hôtel lorsque la terre s'est mise à trembler. Cette terre haïtienne qui a nourri sa vie et son oeuvre, de son premier roman Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer en 1985 jusqu'au magnifique L'énigme du retour, qui a valu à Laferrière le prestigieux prix Médicis l'automne dernier.
Le Soleil s'est entretenu avec celui qui, une semaine après son retour au Québec, parle avec une énergie inébranlable du peuple haïtien qui arrivera à se relever. De ce pays qui, dit-il, n'est plus un lieu, mais est devenu une préoccupation mondiale, source d'une grande solidarité.
Q Vous êtes revenu de Port-au-Prince deux jours après le séisme. Vous sentez la nécessité de raconter votre expérience?
R Oui, mais j'évite d'être un porte-parole. Je suis plutôt un témoin. J'ai toujours refusé de prendre la parole officiellement. Je raconte ce que j'ai vu en toute liberté et quand je penserai que le témoignage sera terminé, j'arrêterai. Je raconte ce que j'ai vécu parce que cela a été vécu par la plupart des gens qui étaient là à ce moment fatidique où la terre a tremblé de partout. Un tremblement de terre, il n'y a qu'une façon de savoir si on s'en est sorti, c'est d'être vivant après.
Q Vous arrive-t-il de penser que vous auriez pu mourir?
R C'est vrai que si j'étais mort, ça aurait l'air d'un destin, d'une façon de terminer cette histoire de L'énigme du retour. Mais on risque souvent de mourir. En voiture, par exemple, que ce soit au Québec ou en Haïti. Ce qui reste n'est pas le fait qu'on a failli mourir, c'est l'événement lui-même, les milliers de morts et de blessés. Le fait d'avoir partagé un événement de cette magnitude avec toute une population. C'est ça qui reste dans l'esprit.
Q Est-ce que vous suiviez beaucoup les informations sur Haïti à la télé?
R Non. Je ne regarde pas le déroulement des opérations. Je me tiens au courant de la situation de l'aide, si elle est arrivée ou non. On devient impatient ou frustré quand on compte le temps en «temps CNN», qui est de 24 heures en continu. Si on compte les jours au lieu des heures, on se rend compte que ça va quand même rapidement.
Q Vous refusez les termes malédiction ou pillage en parlant de la situation en Haïti.
R Oui, il ne faut pas que des mots comme malédiction finissent par occuper tout l'espace. Ce serait de dire, voilà, ce pays est maudit! C'est comme parler de pillage pour des gens qui essayent de survivre. J'ai lu un article où il était écrit «le pillage va commencer». Comme si on l'attendait, comme si ça ne pouvait pas ne pas se faire. Et on se met à chercher le premier pilleur. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps. Ce sont des images qui encombrent l'espace et nous empêchent d'aller directement aux gens.
Q Il y a ici une grande abondance d'information, mais, paradoxalement, le peuple haïtien est peut-être le moins informé. Est-ce que ça vous préoccupe, vous qui avez été journaliste?
R Oui, ce qu'on sait d'eux, ils ne le savent pas eux-mêmes. Mais ils savent l'essentiel. L'information ne passe pas uniquement par les médias électroniques. Il y a le bouche-à-oreille, des radios qui ont repris. Mais il y a aussi la connaissance sensible des choses. Quand vous voyez la réalité, elle ne peut que s'imposer à vous. Dans ce séisme, personne n'a été épargné, aucun groupe social.
Q Craignez-vous le moment où l'attention des médias et de la population se détournera?
R Ça arrivera lorsqu'il y aura un autre événement capital. Les médias sont là pour informer, ils ne peuvent pas rester bloqués. Le seul problème est le poids des événements. J'aimerais bien que ce ne soit pas une histoire à la Monica Lewinski qui détournera l'attention d'Haïti. Mais jusqu'à maintenant, je vois que les médias sont extrêmement sensibles à la situation. Très peu de journalistes ont informé avec distance, même ceux qui n'étaient pas sur place. Il n'y a plus de journalistes, il y a des êtres humains. Ils sont impliqués dans ce qu'ils rapportent.
Q Que pensez-vous de la solidarité pour Haïti?
R Ce qui se passe me fait penser à ce qui s'est passé avec la fin de l'apartheid et Nelson Mandela pour qui la jeunesse occidentale et rock'n'roll s'est mobilisée. Là, on voit exactement la même chose. On voit les jeunes, les artistes qui se mobilisent spontanément, sans qu'on leur demande. Et ces gens-là sont extrêmement puissants. Ce sont les mêmes qui ont fait sortir la bataille pour l'environnement de l'underground et obligé les gens à s'en occuper. Ces jeunes, avec Internet, YouTube. Maintenant, ils s'occupent du cas d'Haïti.
Q Vous avez donc confiance en ce mouvement?
R Oui, car ces jeunes ont l'habitude de travailler plus longtemps que la presse. Ils seront déterminants sur la question haïtienne, car ils ont une culture planétaire. Ils ne voient pas Haïti comme un lieu, mais comme une chose qui doit être réglée dans notre époque. On va entrer dans un dialogue, pas seulement dans le discours de compassion. Ces jeunes se disent : «C'est notre époque, c'est notre vie et ça nous concerne.» Haïti réveille l'Occident.
Q Vous arrive-t-il d'imaginer un retour en Haïti?
R Je ne sais pas. Pour l'instant, Haïti n'est plus un lieu, c'est une préoccupation. Haïti est le centre du monde. C'est énorme comme énergie. Maintenant, il faut trouver un moyen pour que cette énergie-là reste.
Q Ce que vous venez de vivre changera-t-il votre travail d'écrivain, votre rapport à Haïti?
R Je ne sais pas. Je suis arrivé au Québec en 1976 et j'ai raconté la nuit de mon arrivée seulement en 2000 dans Le cri des oiseaux fous. Alors, je ne sais pas.
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Valérie Gaudreau
Le Soleil


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