Le Gouvernement Haïtien est en train de commettre des erreurs irréparables
Le 12 janvier dernier, le tremblement de terre qui a dévasté notre pays, Haïti, d’après les estimations, aurait causé la mort d’environ 200,000 personnes, entrainé 250,000 blessés et créé 1,5 million de nouveaux sans logis, dans un pays où déjà 72% de la population vit dans une misère atroce. Ensuite, la majorité des édifices publics de la capitale sont détruits et les faubourgs environnants sont en ruine, ainsi que la ville de Léogane, de Grand-Goâve, de Petit-Goâve et de Jacmel. Et d’après les géologues, la terre qui continue de trembler indique que nous courons encore le risque d’être frappé d’un autre séisme de grande envergure. Même sans un autre cataclysme, il va exiger beaucoup de ressources et prendre beaucoup de temps pour convenablement soigner les blessés, continuer à sortir les cadavres des décombres et entamer la reconstruction des villes en ruines, afin que le pays puisse enfin reprendre une vie normale.Cependant, les erreurs que le gouvernement est en train de cumuler, peuvent être la cause de grands dommages à l’édifice social du pays et l’empêchement principal à ce qu’on retrouve un jour une vie normale. Car en fait, ces erreurs sont aussi l’expression du manque de courage, de l’irresponsabilité et de l’absence de leadership chez ceux qui nous gouvernent.Quand un pays est frappé d’un tel cataclysme et la principale rumeur qui court les rues est que le Président a cherché à fuir ses responsabilités pour se refugier dans un pays étranger, donne beaucoup de raisons pour se demander à quoi on doit s’attendre dans les jours qui viennent qui seront très difficiles. Il ne faut pas non plus oublier que dans ce contexte, les membres du secteur politique, comme du secteur privé, n’ont pas reçu un appel du gouvernement immédiatement pour le rejoindre dans un effort national de mobilisation pour sauver la patrie en danger. Des signes de la main ont été lancés uniquement aux copains et aux amis du pouvoir. Ce qui porte les observateurs à dire que le pouvoir devient encore plus exclusif, car il s’attend à faire son beurre des fonds d’aide qui viendront des donneurs internationaux. Si tel est le cas, ce serait une honte ? Et c’est exactement pourquoi les donateurs ont peur de confier l’aide à ce gouvernement de pillards. D’après une note de presse, sur chaque dollar de l’aide internationale, seulement un centime doit entrer dans les coffres de ceux qui nous gouvernent. Le pays n’a jamais eu un gouvernement qui bénéficie de si peu de considération et de respect. Ainsi, un dirigeant du Regroupement des Organismes Canado-Haïtiens pour le Développement, Éric Faustin, lors de la rencontre sur l’aide internationale à Haïti, tenue ce 25 janvier au Canada, faisant allusion aux risques de corruption et de détournement de l'aide internationale, a déclaré devant la délégation conduite par le Premier Ministre haïtien, Jean-Max Bellerive: "Nous vous prions de nous donner des motifs de fierté et de satisfaction en prenant des dispositions de coordination et de gestion transparentes et efficaces de l'aide". De l’autre, la Secrétaire d’Etat Américaine, Madame Hilary Clinton, après un tête-à-tête avec le Premier Ministre canadien, Monsieur Harper, a insisté sur « l'importance de l'efficacité et de la responsabilité dans la gestion des aides ».Ces appels ont-ils été entendus ?La Défaillance du Gouvernement Préval-Bellerive et consortsDans une situation de crise créée par un cataclysme comme ce tremblement de terre, les actions se repartissent, en général, en trois étapes : celles des Secours proprement dits, ensuite celle de la Réhabilitation et finalement celle de la Reconstruction.Dans la première étape, celle des Secours, il faut soigner les blessés, distribuer de l’eau et de la nourriture et garantir des abris à la population des zones affectées, en mettant un accent particulier sur les segments sensibles tels que les femmes enceintes, les personnes à mobilité réduites, les enfants et les personnes âgées. Si les mesures de secours ne sont pas rapides, ceux qui sont sortis blessés et même indemnes du désastre, peuvent être terrassés par le manque de soin, la faim et la soif et les maladies opportunistes, tels que le paludisme et la dysenterie etc. Il faut aussi donner une sépulture décente aux morts et maintenir des registres afin de prévenir autant que possible que l’identité des disparus ne soit à jamais perdue pour leurs proches. Si rien n’est fait pour marquer la place des sépultures, cela peut aussi créer des complications légales à l’avenir. Ainsi, il parait que le gouvernement en place a bien failli à ses responsabilités dans cette phase. Pendant plusieurs jours, la population a été abandonnée à elle-même et même les secours qui sont venus de l’étranger n’ont pas été coordonnés. Dans un autre cas, les autorités n’auraient même pas fait un effort minimum pour enregistrer les morts qui ont été jetés, sans façon, dans des fosses communes, au mépris de toute dignité humaine. Pourtant, des mesures simples auraient pu créer un registre des disparus dénombrés. Ainsi, avant de les emporter vers la fosse, une photo pourrait être prise de chaque cadavre, à l’aide d’une petite camera digitale qui peut retenir des milliers de photos dans un microfilm. Et étant donné que chaque photo porterait un numéro, on aurait pu dresser une liste numérotée et une goutte de sang de la victime serait placée à coté du numéro de la photo dans le registre. Demain, un parent qui cherche une victime pourrait facilement la retracer grâce à la technique d’identification par ADN. Si dans la phase de Secours le gouvernement avait démontré un minimum de capacité de coordonner l’effort de sauvetage, on aurait oublié leur manque de visibilité durant les premiers jours de la crise qui faisait croire à la nation que le gouvernement avait disparu sous les décombres des édifices publics. Pourtant, ce n’était pas le cas. Nous avons, un peu plus tard vu un président qui apparaissait devant la nation pour dire « J’ai perdu mon palais… » Ce qui traduit l’état d’esprit bien répandu que les biens de l’état, qu’entant que dirigeants ils sont supposés gérer, leur appartiennent. Un pays démuni à tous les niveauxParallèlement à la phase de Secours, dans une telle crise, la deuxième phase, ou celle de la Réhabilitation peut commencer. Dans cette phase, l’effort est mis sur la réhabilitation des systèmes et des grands réseaux tels que le rétablissement des réseaux d’eau potable, du système et du fonctionnement du courant électrique, du système de transport public qui implique le déblaiement des principaux artères routiers et le rétablissement du service de télécommunication, de téléphone et de l’Internet et des services de communication publique, tels que radios et télévisions. Dans le cas qui concerne Haïti, il faut aussi rétablir les réseaux de voies secondaires, pour faciliter surtout la reprise des filières de distribution des biens agricoles et l’approvisionnement de la population. Mais, il faut aussi créer du travail même temporaire pour fournir aux rescapés indemnes et démunis, les moyens de subvenir à leurs besoins et de sortir de la léthargie et des chocs psychologiques créés par le cataclysme.La première tendance, tout naturellement, est qu’une bonne partie de la population des zones affectées va s’enfuir vers les zones non-affectées à la recherche d’abris et de moyens de survie. Malheureusement, ils vont arriver dans des zones dépourvues de moyens pour les accueillir. Donc, si des actions concrètes ne sont pas adoptées pour renforcer ces zones, la situation va se dégénérer rapidement et c’est le tissu social de ces zones qui va être affecté également. Les mesures de renforcement doivent viser surtout les besoins en nourriture, en logement, le soutien aux enfants et les supports aux malades.Dans un pays comme le nôtre où les réseaux et les systèmes de l’environnement urbain existent à un niveau rudimentaire, la réhabilitation équivaut, le plus souvent à la reconstruction tout simplement. La reconstruction doit commencer immédiatementDevant l’ampleur du désastre, le gouvernement a cherché à encourager le déplacement de la population de Port-au-Prince vers les villes de province, un mouvement qui avait déjà commencé de façon spontanée. Mais, encore une fois, d’après les informations collectées, les autorités ont été incapables de mettre en place un système d’aide pour encourager rationnellement ceux qui cherchent à quitter la capitale qui était déjà trop concentrée. Dans le nord, par exemple, des familles embarquées à la va vite dans des camions de transport, sont arrivées dans des villes qu’elles n’ont jamais visitées avant et où elles n’ont aucuns liens de parenté. Une situation qui a pris les leaders locaux au dépourvu, et sans ressources pour y remédier. La liste des erreurs de ce genre de ceux en charge de notre gouvernement est trop longue pour qu’on puisse les citer toutes. Ainsi, il est clair que le pays fait face à un autre grand problème qui est l’incompétence de ceux qui gouvernent.Mais, si l’étape de construction commence immédiatement, en mettant l’accent sur la déconcentration de la capitale et la décentralisation systématique du pays, nous avons une chance d’éviter d’autres grandes erreurs irréparables.Avec l’étape de reconstruction ou de construction des systèmes, surtout dans le cas où l’intensité du désastre implique la destruction des édifices publics et d’un grand nombre de maisons privées, la phase de reconstruction prend généralement du temps et des débours qui dans certains cas, comme celui d’Haïti, surpassent inévitablement de loin la capacité nationale. Ce déficit de ressources s’aggravera d’autant plus que le retard des secours pourrait entrainer le déplacement en masse de la population à la recherche de moyens de survie, vers les agglomérations avoisinantes qui ne sont pas affectées.Mais, il nous faut un plan minimum et le financement nécessaire pour lancer ce plan.Ainsi, quelques jours avant que la délégation haïtienne, conduite par le Premier Ministre haïtien, aille au Canada rencontrer les donateurs internationaux, j’avais sorti une note de proposition que j’avais pris soin d’envoyer à Monsieur Bellerive. Il s’agissait d’une fiche pour un plan de décentralisation rapide, avec 4 modules pouvant entrer en application dans 15 à 30 jours, avec un budget d’environ 300 millions de dollars. Ce plan vise à lancer 4 programmes nationaux. Une première tranche de $30 millions serait allouée à un fonds pour le reboisement des mornes. Ce fonds servirait à lancer les programmes de reboisement communal en créant des dizaines de milliers d’emplois immédiatement dans la création de pépinières et les activités de mise en terre de plantules. Cette partie de ce programme servirait à l’emploi immédiat des membres de cette population déjà en exode vers les provinces. Une deuxième tranche de $60 millions serait consacrée à l’éducation universelle des enfants en âge d’aller à l’école. Ceci serait important de façon à commencer à donner le plus vite que possible une semblance de normalité aux enfants de cette nouvelle population déplacée. Ceci les tiendrait occupés tout en les instruisant en leur donnant cette éducation qui leur est promise par la constitution de 1987. Et des dizaines de milliers de jeunes bacheliers seraient recrutés et entrainés pour enseigner à ces enfants. Des milliers de pères et de mères de famille dans les municipalités trouveraient une occupation dans ces activités liées à ce vaste programme d’éducation des enfants.Une troisième tranche de $90 millions pourrait créer un fonds pour entrainer et financer des entrepreneurs du pays et de la diaspora qui veulent établir des petites et moyennes entreprises de production et de service dans les villes de provinces, afin que ceux qui émigrent de Port-au-Prince ne soient pas obligés de compter uniquement sur la capitale centrale pour leur approvisionnent et les multiples services dont ils auront besoin.Et la quatrième et dernière tranche de $120 millions pourraient être investie dans les infrastructures de base et de support des municipalités, tels que le renforcement du cadre administratif, les routes secondaires, les services de premiers soins, la collecte des ordures et le reste…Avec ces programmes, les gens qui ont pris part dans l’exode spontané de fuir la capitale, auraient pu trouver un cadre d’accueil favorable dans les provinces.Le peuple haïtien mérite un meilleur gouvernementLa ville de Port-au-Prince, la capitale haïtienne, est construite sur une grande faille qui part de Pétion-Ville, traverse toute la presqu'île du Sud, pour aboutir à Tiburon, la pointe sud du pays. En 1751 et en 1771, cette ville avait été complètement détruite par un séisme. Le directeur du Bureau des Mines et de l'Énergie d’Haïti, l'ingénieur Dieuseul Anglade, a confirmé ces informations. Il a ajouté que les secousses mineures qui continuent sont inquiétantes. « Elles annoncent généralement des séismes de plus forte intensité », avise-t-il. Ce point de vue est partagé par le géologue, Patrick Charles, qui est un ancien professeur de l’Institut de Géologie Appliquée de la Havane.Face à de telles menaces, des mesures de prévention urgentes doivent être adoptées. Donc, la décentralisation du pays et la déconcentration sont vitales pour la population. Et dans l’effort de reconstruction, des normes et des procédures qui tiennent compte des dangers sismiques, devront être élaborées et mises en application avec une grande rigueur.Nous devons comprendre que le gouvernement qui parle d’être capable de prendre en charge la reconstruction de la ville de Port-au-Prince et celle des villes avoisinantes est, en moins, le même gouvernement qui a pris plusieurs mois sans pouvoir réagir de façon appropriée à la détresse d’une centaine de familles qui avaient leurs progénitures englouties dans l’effondrement d’une école de Pétion-Ville. Oui, avec quelques visages manquants au tableau, c’est bien le même gouvernement. Ce sont les mêmes magiciens qui ont réussi, aussi, à faire disparaitre $197 Millions de fonds d’urgence, sans aucune retenue. Ainsi, si c’est ce même gouvernement qui reste au pouvoir pour gérer les conséquences de ce cataclysme, et que par malheur un nouveau cataclysme arrive, les conséquences seront encore plus graves pour la population. Dans ce tournant fragile de notre histoire, plus que jamais, l’incompétence, le manque de volonté politique ainsi que le manque de respect pour les biens de l’état ne peuvent plus être tolérés. Haïti ne peut pas mourir. A bon entendeur, Salut !Paul Gustave MagloireAncien Ministre de l’Intérieur et des CollectivitésPrésident de MORN