L’évènement de cette 143ème semaine de Sarkofrance devait être l’intervention télévisée, lundi soir, de Nicolas Sarkozy. Quelques minutes chez Laurence Ferrari, puis deux heures d’émission, sans coupure publicitaire, au milieu de 11 Français encadrés par l’animateur-journaliste Jean-Pierre Pernault. Aucune annonce, si ce n’est la baisse prochaine du chômage. Sarkozy était «à l’écoute », l’air sérieux, le ton parfois obséquieux, incapable d’avouer qu’il a failli, pour un exercice d’auto-défense systématique.
Jeudi, Dominique de Villepin croyait avoir gagné sa bataille judiciaire dans l’affaire Clearstream. Que nenni, le lendemain matin, le procureur Marin annonçait que le parquet ferait appel de la relaxe de l’ancien premier ministre.
Sarko mauvais perdant à la télé
Lundi soir, le président français venait écouter et s’expliquer. L’émission a plu – 8,6 millions de téléspectateurs, un score honorable pour TF1 – car elle fut une épreuve de téléréalité compassionnelle inédite. Onze Français ont exposé leurs difficultés, leurs souffrances, et chacun a pu s’identifier, dans cet exercice de psychothérapie télévisuelle. Surtout, Sarkozy a fait carton plein chez les plus vieux d’entre nous : 64% de l’audience était constitué de téléspectateurs de plus de 50 ans, le cœur de cible électorale de l’UMP. Cette intervention avait un objectif, immédiat et … électoral. Il ne s’agissait pas de recouvrer un semblant de proximité avec les Français. Nicolas Sarkozy ciblait les élections régionales, avec un show télévisuel maîtrisé, par TF1 interposé et l’appui du journaliste-phare de la France des régions, Jean-Pierre Pernault. La manœuvre est flagrante. A Laurence Ferrari, Sarkozy explique que «ce n'est pas le rôle du président de la République» que de s'impliquer dans la campagne. Pourtant, jeudi soir, il se faisait présenter les listes de candidats UMP aux élections régionales, pour les valider.
Lundi soir, Sarkozy est surtout apparu comme un mauvais perdant : «Je vous demande de considérer que mon travail n'est pas très facile » n’a-t-il cessé de répéter à propos de sa tâche. Qui dirait le contraire ? L’assistance, sage, sombre et résignée, lui confrontait l’échec des promesses de « travailler plus pour gagner plus ». Après tout, les promesses, même proclamées de façon tonitruante, n'engagent que celles et ceux qui les croient. A Bernadette la caissière coincée par son faible pouvoir d’achat, il rétorque : « la seule façon de trouver des solutions pour des gens comme vous, c'est les heures supplémentaires ». Son employeur ne veut pas lui en donner. « Donnez-moi ses coordonnées ». A Samir, l’enseignant précaire, il promet, au grand dam de son ministre du budget, de se pencher sur la titularisation des enseignants précaires. Mais il s’exclame: « Si j'exonère l'Education Nationale, où est-ce que je les trouve, les économies ? ». A la productrice étranglée par la chute du prix du lait, il botte en touche vers l’Europe. A l’infirmière épuisée par ses conditions de travail et le recul de son âge de départ à la retraite, il répond qu’à 55 ans, son âge dans deux jours, on est encore en pleine forme. Il n’y eut que Pierre Le Menahes, ouvrier cégétiste, pour mettre à la peine Nicolas Sarkozy lors du débat, notamment sur les écarts salariaux en France : « Moi je préfère un bon patron bien payé qu’un mauvais patron mal payé ». Quelques minutes auparavant, il avait déjà expliqué qu’Henri Proglio, devenu malgré lui symbole de la confusion des genres, méritait largement ses 1,6 millions d’euros annuels. Et sa double casquette EDF/Veolia ? Sarkozy a enterré l’idée (c'est « l’affaire de quelques mois »), après l’avoir défendue en coulisses depuis juillet.
Une jeune étudiante bien diplômée échoue-t-elle à décrocher un job ? C’est la faute à la crise mais « le chômage va reculer ». Effectivement, trois jours plus tard, des statistiques arrangées étaient publiées par le ministère du Travail sur le nombre de demandeurs d’emploi en décembre. Ô surprise ! Le chômage a baissé en décembre par rapport au mois précédent. -18 700 demandeurs nous dit on. Mais il faut bien lire les statistiques officielles: en décembre, les radiations administratives ont progressé de ... +11,1%, soit 42 000 personnes sur le seul mois de décembre (+4 000 versus novembre). Et les cessations d'inscription pour défaut d'actualisation restent à un niveau élevé : 197 000 en décembre, contre 162 000 au plus fort de la crise, en décembre 2008. Le président du cercle des économistes contredit aussi l'optimisme présidentiel dans les colonnes du Figaro: «2010 ne sera pas une année de décrue du chômage». Près d’un million de chômeurs perdront leurs droits d’ici quelques mois, dont 600 000 sans aucune aide de relais. Sarkozy n’a pas de réponse : « la solution n'est pas dans la multiplication des aides de toutes sortes. » Les chômeurs veulent du travail. Bien sûr. Et quand il n’y en a pas ? Il n'y a qu'un endroit où le chômage a bel et bien disparu : dans le programme d'économie des classes de seconde. Le contenu des manuels scolaires a été communiqué aux éditeurs par le Ministère de l'Education Nationale. Le chapitre consacré à l'emploi et au chômage a été supprimé.
Lundi soir, la parole du Monarque était usée.
Sarko, mauvais perdant avec la justice
Mardi, les clandestins Kurdes, originaires de Syrie, arrêtés en Corse le week-end dernier, ont été relaxés. Eric Besson est furax. Il a fait annuler les arrêtés de reconduite à la frontière. Un à un, les tribunaux ont rendu leur liberté aux sans-papiers dans chacune des villes où ils avaient été placés en centres de rétention. Motif ? « Vice de procédure ». Insulte suprême, fiasco politique. La CIMADE accusait le gouvernement de vouloir raccourcir le délai de leur demande d’asile. Même le Haut Commissariat aux Réfugiés de l'ONU s’en était ému. Dans un premier temps, Eric Besson s’est justifié par … un manque de places d’hébergement. Il a ensuite expliqué vouloir durcir la législation, contre ce type d’«afflux massif inopiné». Lundi soir, Nicolas Sarkozy, mécontent et contrarié, est venu au secours de son ministre. Il a promis que les clandestins qui n’obtiendraient pas l’asile politique seraient renvoyés chez eux.
Sarko fut aussi mauvais perdant contre Villepin. Jeudi, l'ancien était heureux, jeudi midi, en apprenant qu’il avait été relaxé des accusations de dénonciation calomnieuse dans l’affaire Clearstream : « Après plusieurs années d’épreuve, mon innocence a été reconnue». L’après midi, l’Elysée faisait savoir que Nicolas Sarkozy prenait acte de la décision judiciaire. Les proches de l’ancien premier ministre expliquaient que son combat politique, critique contre le chef de l’Etat, pouvait enfin commencer. Leur soulagement a été de courte durée. Dès le lendemain, le trouble Jean-Claude Marin, procureur parisien de l’affaire, expliquait sur une radio matinale qu’il avait « décidé » d’interjeter en appel de cette décision, aux motifs que toute la vérité de l’affaire n’a pas été dévoilée, que la parquet a le droit de faire appel d’une décision contraire à ses réquisitions, et que deux autres prévenus, Imad Lahoud et Jean-Louis Gergorin, ont eux aussi fait appel. Personne n'est dupe.
Vendredi soir, Dominique de Villepin intervient sur CANAL+, après son coup de gueule du matin sur BFM-TV. « Il y a eu hier une réunion à la Présidence de la où cette décision a été prise. » Villepin dénonce explicitement Sarkozy. « J’ai eu la confirmation de cette information ». Les chroniqueurs du Grand Journal de CANAL+ veulent en savoir plus sur cette source anonyme à l’Elysée. Villepin continue: le procureur Marin « s’est fait tordre le bras » pour le renvoyer en justice. « Il l’a fait sous la pression de la Présidence de la République ». La Sarkofrance a mal à la justice. Elle n’empêche pas le déballage de ses poubelles. La haine l’a emporté, à tous points de vue. La presse étrangère ne s'y trompe pas, soulignant le revers politique majeur subi par Sarkozy : jeudi, le Monarque a relancé les ambitions et la capacité de nuisance présidentielles de Dominique de Villepin. Vendredi, en faisant appel, il a confirmé le statut de victime de son opposant.
Sarko, mauvais perdant avec ses déficits
Jeudi, le président français tenait sa fameuse conférence sur les déficits, censée conclure sur l’effroyable dérive des comptes … des collectivités locales. Sarkozy est fiscalement coincé : il ne souhaite ni revenir sur les cadeaux fiscaux aux plus fortunés (tel le bouclier fiscal), ni sur les exonérations de charges, pourtant coûteuses, comme les défiscalisations d’heures supplémentaires. Il faut donc taper sur les charges, souvent sociales … et les comptes des régions et départements, majoritairement à gauche. Le combat électoral pro-UMP se loge dans des détails. Les élus de gauche ont boycotté la séance. Et pour cause, la dette publique qui incombe des régions et départements ne pèse que pour 10% des 1 456 milliards d’euros d’endettement public. De surcroît, à la différence de l’Etat, les collectivités locales ne peuvent afficher de déficit budgétaire. Sarkozy a beau jeu de promettre l’instauration d’une règle d'équilibre des comptes de l'ensemble des administrations publiques, à l'image de l'Allemagne. Quand aux dotations de l’Etat, figées au moment des différents transferts de compétences et la récupération des impôts locaux, elles se révèlent insuffisantes pour couvrir les aides sociales aux plus démunis. D’ici à 2013, l’Etat doit réduire son déficit budgétaire de … 100 milliards d’euros. Rien que cela. Dans l’Espagne voisine, le premier ministre Zapattero a promis un plan de rigueur de 50 milliards d'euros d'économies d’ici 2012.
Le Monarque, dépensier pour lui-même et peu économe avec l’argent du contribuable, a quand même voulu donner quelques leçons : «En avril, nous prendrons des décisions extrêmement précises pour que la spirale des déficits ne porte pas atteinte à la crédibilité de notre pays». Son collaborateur François Fillon fait semblant renchérir dans une interview au Figaro, samedi 30 janvier. Le premier ministre annonce travailler sur des «efforts sans précédent» qu'il présentera à Bruxelles la semaine prochaine. A le lire, ses propositions n'ont rien de bien nouveau : stabilisation des dépenses publiques («Jamais un gouvernement n'aura fait autant»), réduction de la progression des dépenses d'assurance maladie sous la barre de +3% annuels, et poursuite du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Rien sur la fiscalité. Fillon se contente seulement de promettre de ne pas créer de nouvelles niches fiscales... Le coeur de l'électorat UMP est déjà bien doté ! Pour couronner le tout, Fillon prie pour un retour à une croissance supérieure à +2,5% par an dès 2011. Allumez vos cierges !
Sarko, mauvais perdant avec la police
Vendredi, les policiers élisaient leurs représentants du personnel. L'union entre Unité police, classée à gauche, et le SGP-FO, qui a fait « campagne » contre la politique du chiffre de Nicolas Sarkozy, est sortie grand vainqueur de ces élections professionnelles marquées, comme à chaque fois, par un fort taux de participation (82%). Brice Hortefeux a tenté de renvoyer la balle sur les régions socialistes. En matière de lutte contre l'insécurité, ces dernières, par la voix du groupe socialiste au Sénat, ont répliqué qu'il était en charge de la police et de la gendarmerie nationale. Les régions n'ont aucune attribution particulière en matière de sécurité publique.
Jeudi, le gouvernement était aussi contraint de reconnaître que le nombre de gardes à vue officiellement répertoriées était largement sous-estimé : 900 000, contre 600 000. Il n’était que de 300 000 en 2002. Le journaliste Mathieu Aaron, dans un ouvrage paru mercredi, a trouvé l’origine de l’écart dans « l’oubli » des gardes à vues pour délits routiers. Le porte-parole de l'Intérieur a confirmé une double comptabilisation. Et pour quel résultat ? la hausse continue des violences aux personnes.
Au final, cette semaine fut calamiteuse pour le président français : entre un débat télévisé défensif, un revers judiciaire dans l'affaire Clearstream, et une conférence ratée sur les déficits publics, Nicolas Sarkozy n'a trouvé que le forum économique de Davos pour s'exprimer devant une assistance docile.
Ami sarkozyste, où es-tu ?
Il reste 21 mois d'ici la prochaine élection présidentielle.