Désirant avant tout concentrer leurs efforts et éviter de se répandre en considérations vaseuses sur mille sujets différents, les Ioniens ont rapidement décidé de se focaliser sur une seule et unique question : de quelle matière sont faites les choses ?
Les débats au cours des réunions de travail étaient le plus souvent enfiévrés, car, comme on l’imagine, chacun avait sa petite idée sur la question. Thalès soutenait pour sa part que peu importait la matière dès lors qu’elle affichait ses 11°5. Anaximène, qui ne supportait plus Thalès depuis une sombre histoire de toge tâchée par un morceau de viande en sauce, éprouvait un malin plaisir à le contredire systématiquement. Aussi affirmait-il –sans en être parfaitement convaincu lui-même – qu’un liquide ne saurait en aucun cas s’apparenter à de la matière dans la mesure où il ne poussait pas de cri lorsqu’on plantait un couteau dedans. Des années plus tard il finit par avouer que, aveuglé par sa rancœur, il avait confondu avec le cochon.
Mais nous ne pouvons évoquer les Ioniens sans parler d’Héraclite, figure de proue du mouvement. Héraclite, après des années principalement consacrées à la réflexion, arriva à la conclusion suivante : tout change. Une fois son propos formalisé, il éprouva une grande satisfaction en réalisant qu’il tenait là de quoi bâtir toute une carrière. En effet, il était objectivement très difficile de le contredire : après la vie venait la mort, après la nuit venait le jour, après la pluie le beau temps. Notre homme tenait ainsi à la disposition des curieux quantité d’exemples du même acabit qui, pensait-il, lui permettrait d’accéder sans problème à la postérité. Il dut cependant déchanter en constatant qu’après quelques années, son auditoire se limitait toujours à un vieillard qui passait son temps à lui jeter des petits cailloux tout en ricanant méchamment, et un chien galeux et borgne dont le comportement laissait à penser qu’il était somme toute assez peu concerné par le problème.
Il décida alors d’appâter le public en enrichissant son discours d’une toute nouvelle question : « Comment y a-t-il à la fois dans le monde de la multiplicité et de l’unité, du changement et du stable ». Le succès ne fut hélas pas au rendez-vous : le chien se mit à hurler à la mort tandis que le vieillard remplaçait promptement les gravillons par des morceaux de rocher d’une dizaine de kilos. Profondément blessé dans son amour propre (mais aussi par les projectiles) Héraclite, après une formation accélérée de trois jours, se reconvertit dans la vente d’assurance-vie au porte-à-porte.