Billy Brouillard est une BD inclassable de Guillaume Bianco. Elle entre dans le véritable univers de la nouvelle collection Métamorphose. Qui de mieux pour en discuter que la directrice de la collection elle-même ?
Barbara Canepa à donc accepté de répondre favorablement à ma demande d’interview sur cette collection. Comment est-elle née ? Comment la dirige t-elle et comment sont choisi les auteurs ?. Voici entre autres quelques questions dont toutes les réponses sont ci-dessous. Bonne lecture à vous.
Bonjour Barbara,
Vous êtes la directrice de la collection Métamorphose, pouvez-vous nous dire un peu le pourquoi et le comment de cette collection ?
Tout est né d’une envie.D’un manque concernant une certaine thématique dans le monde du livre, surtout dans la BD. Je me sentais orpheline d’un certain graphisme classique , de certaines histoires que je ne trouvais plus en rayon.Il ne me restait donc qu’à créer moi-même un espace qui regrouperait des livres qui raconteraient ces mondes poétiques , fantastiques et parfois effrayants , où l’on pourrait se perdre , et à la fois grandir afin de se sentir différents. Des livres qui nous divertissaient tout en nous faisant réfléchir, comme les inoubliables fables des frères Grimm, et d’Andersen, que nous lisions dans l’obscurité de notre chambre à coucher.
Dans le « paysage bédéphile » actuel, il n’existait aucune collection qui regroupait un univers comme celui que propose Métamorphose. Pourtant, tout ce dont regorge la collection se retrouve au cinéma, dans la littérature, dans la mode, jusque dans les jeux vidéo. Mon parcours, mes origines artistiques et culturelles (j’ai fais des études classiques à l’Université d’Architecture) ; ma curiosité pour un certain genre d’ouvrages anglo-saxons, tout ceci m’a incité à créer un espace où tous ces éléments pouvaient être réinterprétés avec un certain esprit actuel.J’avais à coeur que les projets rappellent visuellement les grands illustrateurs classiques tels que A.Rackham, E.Dulac ou encore E.Gorey. Mais sans copier ni imiter ce style, évidemment.
Métamorphose est un univers éditorial où l’on peut rêver, où l’on peut retomber en enfance aussi. Une collection qui exalte la vie, en parlant de la mort. Pour donner une unité à tout cela, j’ai choisi pour symbole de la collection, cette superbe et incroyable parole qu’est : « Métamorphose ». Ce mot à mon sens à quelque chose de parfait. Il évoque une chose qui ne représente rien d’autre que nous-mêmes, en tant qu’êtres vivants, il s’agit de notre transformation intellectuelle, et naturelle, et, ce même, après notre mort.Les livres Métamorphose proposent une réflexion, un rêve – et même s’ils sont parfois effrayants, ils n’en demeurent pas moins fascinants. J’espère que mon intention et ma démarche aura touché les lecteurs…
En quoi consiste exactement votre travail et êtes vous totalement indépendante des Editions Soleil ?
Je suis indépendante dans le sens que je vis et que je travaille chez moi, je n’ai pas de salaire en tant que directrice de collection, mais je touche un pourcentage sur les livres. Mais ce n’est pas facile pour quelqu’un comme moi, habituée a bien gagner ma vie de par le passé (avec des séries qui vendent, on peut très bien vivre confortablement dirons-nous), de me retrouver fatiguée et sans le sous à la fin du mois. Mais c’est un choix voulu et assumé de ma part. Aujourd’hui, je suis pleinement satisfaite de l’avoir fait. J’ai fait un investissement de temps et d’argent.ça met du sel à la vie. Créer et participer à la réalisation de choses qui n’existent pas est la plus belle chose qui soit.
En revanche, je suis dépendante des décisions finales de Mourad Boudjellal (le DG de Soleil), car c’est lui qui a le dernier mot et qui valide tel ou tel projet, surtout au niveau financier. Clotilde Vu (la co-directrice) et moi-même, lui soumettons un contrat ainsi qu’une proposition financière qu’il approuvera ou pas. Concernant le reste (marketing, communication), je dois constamment demander de l’aide à un groupe de personnes qui travaille en relation étroite à mes côtés. En ce sens là, je peux dire que je suis bien entourée, je ne me sens pas seule. Sans ces derniers, rien ne serait possible. Rien ne serait possible non plus sans la totale confiance de la part de Mourad mon éditeur, évidemment , qui parfois ne croit pas à un projet , mais qui cependant croit en mes capacités , en ma »vision » et »anticipation » éditoriale.
Le premier livre proposé dans cette collection est Billy Brouillard. Qu’est-ce qui vous a plu chez l’auteur et dans l’histoire ?
Le fait de sortir en premier lieu »Billy Brouillard » a été un cas un peu à part, et non une stratégie éditoriale.
Guillaume Bianco a simplement été le premier des auteurs de la collection à finir son livre, et nous ne pouvions plus nous permettre de repousser de plusieurs mois sa sortie afin d’attendre d’autres ouvrages plus « accessibles », car plus classiques et attrayants, comme par exemple « Yaxin the Faun » (sortie printemps 2010) qui était très en retard. Mais finalement cette circonstance a en quelque sorte, contribuée au succès de la collection. Attention. J’ai toujours cru au potentiel de Billy Brouillard, et ce depuis sa naissance.Même plus que l’auteur lui-même. Mais nous n’étions que deux à y croire, Clotilde Vu et moi-même. Aujourd’hui son succès a dépassé toutes nos espérances, j’en suis très orgueilleuse et je vis cela comme une petite victoire personnelle. Mais je connais les aléas du marché et ses difficultés. Je savais pertinemment, en novembre 2008, que de commencer une collection avec un livre aussi différent de la production générale de BD (un livre en noir et blanc qui plus est) serait comme un grand saut dans le vide. Mais j’aime les défis. Ils ne me font pas peur. Et je connaissais très bien l’histoire et l’univers de Billy. Je n’ignorai pas sa valeur didactique, et me suis donc fiée à mon sixième sens. Le public ne s’y est pas trompé non plus. Je suis vraiment contente. Désormais le chemin est en pente douce…Tous les livres vendent très bien. Billy Brouillard en est à sa 4eme réimpression. Le tirage de toute la production Métamorphose de cet automne est déjà épuisé. Les livres sont à la réimpression ! Tous ! Que dire ? Sinon « merci » aux lecteurs !
Je suis plus motivée que jamais pour aller de l’avant dans ce nouveau métier d’éditrice, que je commence cependant à bien connaître. Pour revenir à Billy Brouillard, vous me demandiez ce qui m’a plu dans l’histoire ? Elle est vraie. Elle est sincère. En la lisant, je suis redevenue une petite fille. Peu d’histoire provoque cela. Habituellement les romans peuvent avoir cet effet. J’ai vu ce projet naître et grandir. Comme un enfant. Peu d’histoires me procurent ceci. Certains romans. D’une certaine façon, nous sommes tous des Billy Brouillard : nous avons les mêmes traumatismes et le même enthousiasme à découvrir l’impossible et l’intangible. J’en suis encore plus fière, car l’auteur est également mon compagnon de vie ! Qu’ajouter de plus ? Je suis heureuse.
Justement, comment choisissez-vous les auteurs qui feront parti de Métamorphose ? C’est vous qui les cherchez où ce sont eux qui viennent vous proposer ?Dans la plupart des cas, c’est moi qui ai trouvé les projets, certaines fois, je les ai même élaboré avec eux, que ce soit le concept d’un livre ou l’idée d’une l’histoire. Il est arrivé également que Clotilde Vu en propose, comme cette année par exemple. Pour ma part, je cherche des artistes qui ont, en partie du moins, un univers similaire au mien. Un parcours, un bagage culturel qui nous lie. Autrement cela ne sert à rien. Je dois avoir confiance avec les personnes avec qui je travaille, car je donne carte blanche pour les projets: le format, le nombre de pages, (ce sont les auteurs qui choisissent et non nous qui les leur imposons.)
Métamorphose est un espace éditorial vaste pour qui veut expérimenter sa créativité. Je suis moi-même auteur, voilà pourquoi je raisonne ainsi, j’ai créé un espace adéquat pour ma catégorie sans me soucier du principe éditorial financier immédiat. Je ne pense pas que je changerai de méthode de sitôt. Cependant, je ne suis pas fermée aux propositions extérieures. Je fais confiance à mon flair et aux idées de Clotilde qui me connaît très bien, qui a vu la collection naître, et qui l’a faite sienne au sein des éditions soleil.
Si vous avez déjà des informations sur les prochaines publications pouvez-vous nous en donner quelques unes pour les lecteurs ?
« Coeur de papier » sortira incessamment sous peu à Angoulême, une série en 3 volumes réalisés par deux auteurs italiens exceptionnels : Giovanni Rigano (dessins) e Bruno Enna (scenari). Au mois d’avril, le nouveau art book de la très grande Claire Wendling intitulé : « Daisies ». Ce livre n’aura rien à voir avec la version américaine. Son format sera différent, la maquette sera toute autre, il y aura plus de pages avec de nombreux dessins inédits. Pour le mois de Mai/ Juin, « Yaxin the Faun » : une série fantastique et mythologique imaginée et dessinée par Manuel Arenas, et magistralement écrite par Dimitri Vey. À l’automne prochain (la date est encore à préciser), END, mon projet personnel, aux côtés de la très talentueuse Anna Merli. Octobre/novembre « De l’Autre Côte du Miroir », imaginé et illustré par Lostfish, il s’agira de l’adaptation du second roman de « Alice au pays des merveilles » de L. Carroll, et enfin pour Noël 2010 l’immanquable rendez-vous avec le 3eme livre de « Billy Brouillard » de Guillaume Bianco.
Vous êtes vous-même scénariste, pourriez-vous travailler un jour à un projet pour cette collection ?
Comme je vous le disais plus haut, j’ai un projet au sein de cette collection, il s’agit de « END » et il a été un des premiers à y entrer. Il s’agira d’une série en trois opus, fais à quatre mains, aux côtés d’une artiste italienne, Anna Merli. Si tout va bien, il devrait finalement voir le jour cette année. Je me vois de plus en plus scénariste que dessinatrice dans les années à venir, et j’aimerais recommencer à peindre et prendre plus de temps pour moi à dire vrai.
Avant de terminer, avez-vous des projets personnels dont nous pourrions parler ?
END mis à part, je travaille actuellement à la suite de ma principale série BD »SKY DOLL », ainsi qu’à une nouvelle série très librement inspirée du monde de Lewis Caroll : « Dreamland », avec un auteur français. Cela ne sera pas prévu avant 2011. J’ai par ailleurs deux gros autres projets et je suis en train de réfléchir aux artistes qui pourraient y participer et aux éditeurs à qui les proposer. Mais il est encore un peu tôt et ils sont, pour le moment, en « stand by. » En 2011, j’organiserai des expos dans quelques galeries…Pour le reste, je ne sais pas encore. Quoiqu’il en soi, j’ai déjà bien de quoi occuper mes 10 prochaines années !
Merci encore à Barbara Canepa pour son temps et ses réponses sans aucune langue de bois. J’espère que cela vous aura plut, il est toujours intéressant de connaitre un peu de l’envers du décor et je pense que c’est le cas avec cette interview.
Billy Brouillard de Guillaume Bianco, collection Métamorphose, Editions Soleil Prod., 137 pages, 20.55 euros.