Editions Buchet Chastel, 2008
Un an avant L'annonce, Prix des Libraires 2009, Marie-Hélène Lafon a écrit un magnifique récit sur la fin du monde paysan. Deux
personnages, Marie et Jean, frère et soeur célibataires, derniers vestiges de la campagne profonde. Marie, la vieille fille soumise, observe derrière sa fenêtre la tribu des voisins, la grande
famille qui, elle, s'est adaptée au monde d'aujourd'hui : agriculture intensive, conversion au tourisme vert, jeunes femmes modernes, enfants bruyants...Marie scrute, observe et envie. Mais elle
sait que son destin est scellé.
L'auteur raconte le passé, le présent et le futur. Une jeunesse dominée par la mère autoritaire, un présent d'observatrice et un futur d'anéantissement.
Marie-Hélène Lafon épouse le regard de la vieille Marie ; la tribu des voisins devient sous sa plume une explosion de couleurs, de parfums, de sons. Ils prolifèrent, ils suintent, il éructent.
Ecrivaine du corps et de la sensation, l'auteur se fait entomologiste de la perception : description du linge qui sèche dans le jardin (Marie admire les couleurs des maillots de bain des
voisines), des fragances diverses et variées, des cris du voisinage.
Marie s'emplit de ce matériau sensitif ; d'ailleurs, dans cet espace confiné, tout est saturé : les journaux, le linge, les souvenirs prolifèrent. Ne manque que l'épanouissement et le
bonheur.
Marie-Hélène Lafon a su retranscrire magnifiquement la fermeture et la fin d'un monde : accumulation de noms et d'adjectifs qui épousent intimement le réel. Comme a son habitude, le corps et ses
épanchements sont très présents ; c'est par lui que s'exprime ce qui reste coincé dans la gorge.
Le lecteur épouse le regard de Marie, ses désirs et sa résignation. On ne peut être que touché par cette femme sacrifiée, passive, emmurée dans sa maison. Un très beau roman.
" Les cheveux des femmes des voisins étaient teints. A la messe on avait tout loisir d'observer : on voyait aux blondes solaires, aux rousses glorieuses, des
racines marron, tenaces obtuses têtues. On ne rencontrait pas ces femmes chez la coiffeuse. Leur frénésie capillaire était intestine, familiale, mitonnée à la maison comme un ragoût. Les
coiffures femelles oscillaient entre le négligé franc et massif du crin jaune de l'Alice et de savants chignons, fragiles, monumentaux, qui surgissaient aux moments de l'année les plus
inattendus. Certains dimanches, on remarquait des coupes incongrues et très visiblement expérimentales, volontiers dissymétriques. Le poil de la tribu étant raide et rétif par
nature, on le frisait, on le chauffait, le bouclait, le tirebouchonnait ; on l'accablait de produits mirifiques
commandés sur catalogue avant d'être appliqués dans la plus joyeuse incurie. Le cheveu était tour à tour natté, crêpé, tortillé de rubans, piqueté de barrettes, emberlificoté d'élastiques, plaqué
sous bandeau, assommé sous turban, hérissé en papillotes.