Contre l’intelligence – hommage à J.D. Salinger

Par Desheuresoisives

J.D. Salinger (1919 – 2010), autant être franc, ne fait pas partie des écrivains qui me sont le plus chers. Il fut pourtant l’une des lectures les plus bouleversantes de mon adolescence, et je garde pour lui une véritable tendresse (l’édition de mes quinze ans de The Catcher in the Rye a sa place réservée dans ma bibliothèque et je la chéris un peu comme un trésor ancien, s’étant refermé avec le temps).

En guise d’hommage, j’aimerais poster cet extrait de Franny et Zooey, roman certes moins célèbre que L’Attrape-Coeurs mais d’autant plus précieux :

Il y a des années, quand j’étais à mes débuts d’écrivain en puissance, j’ai lu un jour une nouvelle à haute voix devant S. et Boo Boo. Quand j’ai eu fini, Boo Boo a dit brutalement (en regardant Seymour) que mon histoire était « trop intelligente ». S. a secoué la tête en me regardant d’un air radieux et il a déclaré que l’intelligence était ma maladie incurable, ma jambe de bois, et qu’il était de très mauvais goût d’essayer d’attirer l’attention des autres dessus.

J’aime énormément ce passage, et l’idée qu’il contient. Car l’intelligence est bien la plaie, la jambe de bois, le mal de la littérature. Il faut, je le crois, en écrivant, se faire « idiot ». Accepter de ne plus maîtriser, de ne plus conceptualiser ; accepter sa misère, en somme.  »Lâcher prise », pour reprendre la belle expression de Julien Gracq à la fin d’Un Balcon en Forêt.

De fait, l’intelligence est un défaut que j’ai de plus en plus de mal à supporter en littérature…

P.S. : Le rapprochement Gracq/Salinger me semble, bien qu’inattendu, mystérieusement juste. A suivre ?…