La conférence de presse du Président de la Cour européenne des droits de l'homme, Jean-Paul Costa (juge au titre de la France et président), a eu lieu le 28 janvier 2010. A cette occasion, il a fait part de sa satisfaction à la suite de diverses bonnes nouvelles pour la Cour qu'il préside. Le choix récent de la Russie d'accepter enfin le Protocole n° 14 et, donc, de ne plus faire obstacle à son entrée en vigueur (V. Lettre droits-libertés du 15 janvier 2010 (2) et du 15 janvier 2010 NB: après ratification par la Douma il reste la ratification par la chambre haute) figure évidemment parmi ces motifs de satisfaction même si le Président Costa a, par une pirouette humoristique, refusé de s'étendre sur les raisons ayant justifié ce revirement (" on célèbre plutôt le mariage que de se poser des questions pour savoir pourquoi la fiancée a été si longtemps réticente " - 25') et, sur le même ton, souligne que cette évolution ne lève pas toutes les difficultés (" une fois que des fiancés se marient, c'est là que les choses [...] difficiles commencent " - 47'). Par ailleurs, l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne (V. Lettre droits-libertés du 1er décembre 2009 et CPDH) ouvre la voie à l'adhésion à la Convention de l'Union Européenne, évènement également conditionné par l'entrée en vigueur du Protocole n° 14, ce qui, selon J.P. Costa, " complètera les fondations d'un espace juridique européen des droits fondamentaux " (16' et 32' - v. les difficultés juridiques spécifiquement liées à cette adhésion atypique, 30'). Enfin, est évoquée la Conférence intergouvernementale d'Interlaken en février 2010 destinée à fixer une " feuille de route " pour l'évolution de la Cour (17' : CPDH: il se pourrait que la Russie ait décidé de ratifier le protiocole 14 dans la perpective de ne pas se retrouver "hors jeu" lors de cette conférence) et notamment tenter de régler les difficultés non encore tranchées par le Protocole n°14 (en particulier, le Greffier de la Cour, Erik Fribergh, évoque un mécanisme supplémentaire de filtrage des requêtes, l'amélioration de l'exécution d'un arrêt par l'État condamné notamment pour les affaires répétitives et l'élaboration de mécanismes pour que tous les États puissent tirer immédiatement les conclusions d'un arrêt rendu contre un autre État sans attendre leur condamnation sur ce point - 50').
Lors de cette conférence, le Président Costa a répondu aux critiques lancées contre la Cour à l'occasion notamment d'affaire sensibles traitées par cette juridiction. Sans surprise, le Président affirme que " nous ne sommes pas une juridiction politique, mais lorsque nous jugeons une affaire et qu'elle peut avoir des conséquences politiques, évidemment, c'est facile de dire que le jugement est politique. Nous cherchons en réalité a toujours statuer, toujours juger de la façon la plus impartiale possible, donc d'une façon neutre sur le plan politique " (1h07'). Ainsi, s'agissant de l'affaire des crucifix dans les salles de classe (V. Cour EDH, 2e Sect. 3 novembre 2009, Lautsi c. Italie, Req. n° 30814/06 - Lettre droits-libertés et du même jour), il estime qu'" on ne peut pas dire que c'est un arrêt, un jugement politique " (1h14'). Plus généralement, la question religieuse est évoquée à plusieurs reprises. Le référendum suisse interdisant la construction de nouveaux minarets n'a pas donné lieu à une réponse du Président car il s'agit d'une " question juridique d'une très grande complexité " (1h09). Mais il remarque néanmoins que " depuis quelques années, et, ça me frappe beaucoup, nous avons de plus en plus d'affaires concernant la religion ou les religions. Et ça, c'est un phénomène nouveau. [...]. Ça me paraît traduire un phénomène plus général, c'est que, souvent dans les sociétés européennes, la religion a pris une importance plus grande qu'auparavant. Et parfois certaines personnes donnent une connotation politique à ces aspect religieux " (1h15' et s. - et ce alors que " paradoxalement, [...] la religion devient d'autant plus politique qu'elle est moins pratiquée "). De sa propre initiative, le Président Costa évoque même le sujet de la " burqa " en France en pariant que si la Cour est amenée un jour à statuer sur ce point, une partie des commentateurs diront que " c'est un arrêt politique, quelque soit le sens dans lequel la Cour aura jugé. En réalité, ce n'est pas la Cour qui devient politique, mais le fait que tout devient politique y compris et notamment la religion" (1h16'). Il relativise en tout cas les critiques étatiques comme étant surtout le produit d'une réaction ponctuelle face à une solution ponctuelle (1h20').
En tout état de cause, on ne peut qu'approuver la remarque du Président Costa qui estime qu'en ce début d'année 2010, s'agissant de la Cour, " nous sommes à une certaine croisée des chemins " (19').
vidéo de la conférence Conférence de presse annuelle du Président de la Cour européenne des droits de l'homme - le communiqué de presse Actualités droits-libertés du 29 janvier 2010 par Nicolas HervieuVoir aussi
Jean-Paul Costa, président de la Cour européenne des droits de l'homme, intervient pour la première fois dans le débat sur la garde à vue en France. Il souhaite que les États modifient leur législation sans attendre d'être condamnés par la CEDH
La Croix : Deux arrêts de la CEDH viennent de condamner la Turquie pour ne pas avoir permis la présence des avocats en garde à vue. Depuis, la polémique enfle en France. La chancellerie doit-elle se plier à cette jurisprudence et garantir, elle aussi, l'intervention des avocats à tous les stades de l'interrogatoire ?
Jean-Paul Costa : La question est de savoir si les arrêts de la CEDH lient les États dans les seuls litiges qui les concernent ou s'ils s'imposent à l'ensemble d'entre eux. Aujourd'hui, les arrêts ne lient que ceux directement visés par la plainte.Mais sans doute faut-il repenser ce dispositif et enjoindre aux pays européens de revoir leur législation quand un problème chez eux est analogue à celui identifié par la Cour dans un autre pays. Il faut cesser de jouer à cache-cache avec la Convention internationale des droits de l'homme.
Les États ne doivent pas attendre que des dizaines de justiciables déposent des recours à Strasbourg pour réviser leurs lois. Cette question pourrait être l'une des pistes proposées le mois prochain à la conférence internationale d'Interlaken (Suisse). (...)