source | www.courrierinternational.com | 19.02.2009 | Larissa MacFarquhar | The New Yorker
Elle est devenue la figure la plus visible et la plus influente de la gauche américaine – à l’instar d’un Howard Zinn ou d’un Noam Chomsky il y a trente ans. Naomi Klein…
…s’exprime régulièrement aux quatre coins du monde, et des centaines de personnes se déplacent pour l’écouter. Elle est même devenue l’icône des icônes. Le groupe de rock Radiohead et la chanteuse Laurie Anderson vantent ses livres à leurs fans. La comédie de John Cusack War, Inc. s’est inspirée de ses reportages à Bagdad. Et le réalisateur mexicain Alfonso Cuarón a été tellement enthousiasmé par son dernier livre, The Shock Doctrine*, paru en 2007, qu’il a gracieusement réalisé un spot publicitaire pour sa campagne de promotion. Lorsque la crise économique a débuté, la situation semblait tellement bien coller avec ses théories qu’elle a été invitée sur toutes les chaînes de télé pour en parler.
La thèse centrale de The Shock Doctrine est que, contrairement à ce que l’on nous dit, capitalisme et démocratie ne vont pas de pair, pas plus que le libre marché et la liberté des personnes. Bien au contraire, le capitalisme – du moins le capitalisme fondamentaliste tel que prôné par l’économiste Milton Friedman et son école de Chicago – est si impopulaire et si manifestement nuisible pour tous (excepté pour les plus riches d’entre les riches) que son règne nécessite au mieux la supercherie, au pire la terreur et la torture. Friedman, qui pensait que les marchés étaient plus efficaces lorsqu’ils étaient délivrés des interventions de l’Etat, prêchait la suppression de toutes les mesures destinées à protéger le peuple contre la logique du marché. Naomi Klein répond qu’une population ne peut accepter de telles réformes qu’à condition de se trouver dans un état de choc, au lendemain d’une crise, d’une catastrophe naturelle, d’un attentat, d’une guerre.
Une personne en état de choc régresse à un stade infantile et cherche une figure parentale pour prendre le contrôle de la situation.
De même, une population en état de choc confiera des pouvoirs exceptionnels à ses dirigeants. Naomi Klein en tire la conclusion suivante :
l’école de Chicago est “un mouvement qui prie pour l’arrivée d’une crise comme un agriculteur en période de sécheresse prie pour l’arrivée de la pluie”.
Pis, les adeptes de Friedman sont parfois trop impatients pour attendre que les forces de la nature se déchaînent. Si les catastrophes naturelles sont difficiles à manigancer, les coups d’Etat et les attaques terroristes sont à tout moment possibles.
“Nombre des violations des droits de l’homme les plus infâmes de notre époque ont été commises soit dans le but de terroriser la population, soit dans celui de préparer l’introduction de ‘réformes’ radicales allant dans le sens du libre marché”, soutient-elle.
Mais, après le choc économique qui a ébranlé Washington à l’automne dernier, les choses ne se sont pas tout à fait passées comme dans The Shock Doctrine. Jusqu’à un certain point, la réaction initiale à la crise économique est venue corroborer la thèse de Naomi Klein : le choc (les faillites bancaires et l’effondrement du marché) a mené le gouvernement américain à prendre des pouvoirs sans précédent (il a lancé un plan de sauvetage des banques de 700 milliards de dollars, accordés sans conditions), martelant que, dans une telle crise, on doit lui faire confiance, même si les moyens qu’il met en œuvre peuvent sembler enrichir les plus riches aux dépens de tous les autres. Mais la concordance avec The Shock Doctrine s’arrête là, car la machine s’est grippée. Scandalisés, les citoyens américains ont envoyé des lettres par milliers, les blogueurs se sont épanchés sur l’étrange familiarité de la situation, qui leur rappelait le lendemain du 11 septembre 2001. Ils ont écrit que le plan de sauvetage des banques était l’équivalent économique du Patriot Act [loi promulguée après les attentats du 11 septembre qui a considérablement renforcé les pouvoirs du gouvernement en matière de lutte contre le terrorisme]. Mais, comme l’écrit Naomi Klein en conclusion de son ouvrage : la mémoire est parfois un antidote au choc.
suite…