Et d’abord on ne voit rien. Rien qu’un mur de casiers métalliques numérotés, rouillés : vestiaire, coffre-fort ou cinerarium. On ne voit rien, mais le bruit est déjà là, obsédant, rythmique, le bruit qui fait battre votre coeur plus vite, qui vous fait respirer en haletant presque. Et les seules couleurs sont alors l’ocre du mur rouillé et le vert métallique de la structure du Grand Palais. Ce n’est qu’une fois contourné cet obstacle entre le spectateur et l’oeuvre, cette chicane initiatrice, qu’on peut alors accéder à la couleur, à la multiplicité des couleurs des fripes qui ont envahi le hall : droit devant, la pyramide et cette pince rouge qui creuse et qui relâche, inexorablement, mordant de toutes ses dents dans les tissus. Le bruit de centaines de battements de coeur se mêle à celui du moteur qui actionne la pince, sourd et lancinant.
Au sol trois rangées de 23 carrés chacune : les vêtements ici étalés y sont plus sombres,
des pulls, des manteaux, des vestes, rien de trop corporel, rien de délicat, ni lingerie, ni intimité. Les formes corporelles évanouies semblent plaquées au sol, face contre terre. Tout est ici trop propre, nulle odeur, aucunes traces : des vêtements de fripier et qui retourneront au fripier à la fin de l’exposition, un peu trop aseptisés pour avoir conservé une trace de vie, et ça ne fera même pas des SDF heureux. Les lumières basses évoquent l’éclairage d’une mosquée ancienne, parsemée de tapis de prière : c’est le soir, dans la pénombre et le froid qu’il faut visiter cette installation. Vous avez pu lire partout* les déclarations de Christian Boltanski à propos de Personnes (Monumenta, au Grand Palais, jusqu’au 21 février) et je ne reprendrai pas ici ses brillants développements sur l’absence et sur la mort. Comme il l’a fort bien dit ailleurs, ceci n’est pas une installation artistique, c’est une expérience au sein de laquelle le spectateur doit plonger. Je me suis senti, pour ma part, beaucoup plus engagé, impliqué, dans son installation concommitante au MAC/VAL, Après (jusqu’au 28 mars) : après avoir traversé une image de foule sur un rideau, on pénètre dans un labyrinthe de catafalques noirs où des épouvantails (ci-contre, à l’atelier; impossibles à photographier sur place) aux voix dénuées d’émotion interrogent le passant sur sa propre mort. Quand j’étais enfant, au décès d’un notable, dans ma ville provinciale, l’immeuble où aurait lieu la levée du corps était entièrement drapé de noir. L’installation du MAC/VAL, moins tonitruante que celle du Grand Palais, moins bien huilée aussi, a, me semble-t-il, un pouvoir d’évocation plus personnel, elle tient plus de l’expérience intime et moins du spectacle, à mes yeux.* Je ne saurai trop vous recommander le livre sur Boltanski avec Catherine Grenier et Daniel Mendelsohn (disponible chez Dessin Original) ainsi que le numéro spécial d’ArtPress, et en particulier le texte de Didi-Huberman.
Photos 1, 2 & 3 de l’auteur. Photo 4 Didier Plowy. Photo 5 Philippe Chancel. Christian Boltanski étant représenté par l’ADAGP, les photos de ses oeuvres seront ôtées du blog à la fin de l’exposition au MAC/VAL.