Peut-être sont-ce les turpitudes financières de la Grèce qui poussent enfin Gouvernemaman à parler gros sous, peut-être nos dirigeants ont-ils senti cela nécessaire à l’approche des régionales, en tout cas, c’est dit : on va parler dette publique. Et ça va dépoter sévère, c’est Nicolas qui nous le dit.
Et pour ce qui est de dépoter, ça dépote, et dès le départ : c’est un sujet miné déjà utilisé par les uns et les autres pour les petites guéguerres politiciennes comme on en a l’habitude dans ce pays : les collectivités territoriales, se sentant lâchées par l’Etat, ne veulent pas participer à la « conférence » du président.
Les vilains.
Il est vrai que l’aimable bidouille qui a consisté, pour l’administration centrale, à reporter les coûts sur les collectivités aura permis de présenter un bilan moins désastreux à une Cour des Compte malgré tout effarée de découvrir, tous les ans, des gabegies et des dépenses somptuaires là où l’austérité et une gestion de père de famille devrait être de mise.
Mais d’un autre côté, ces mêmes collectivités ne se sont pas non plus empressées de tailler dans les dépenses et de faire ce que l’état central aurait dû toujours appliquer : un budget équilibré, un recours à l’emprunt strictement exceptionnel et une tenue de comptes irréprochable.
Bref, nous y voilà : hier s’est tenue la Graônde Conférence Sur Les Déficits. On aurait dû appeler cela Le Défi – Déficit, en faire une émission télé chamarrée où de sémillantes animatrices aux formes généreuses auraient tourné une roue crantée pour déterminer le sort du politicien au pupitre à ce moment là…. Tak tak tak tak tak … Et c’est la banqueroute ! (musique de circonstance, mine déconfite du candidat, sourire contrit du maître de cérémonie qui tend tout de même un petit paquet cadeau au malheureux lourdé).
Finalement, la Graônde Conférence sera restée (un peu) plus sobre : quelques gugusses qui s’assemblent à l’Elysée pour goûter les dernières trouvailles du staff cuisinier, on débouche une ou deux bonnes bouteilles, on papote deux trois heures, et on se présente ensuite sur le perron, à son petit pupitre, pour y dégoiser deux ou trois banalités navrantes déguisées, de loin, en volontarisme couillu.
Et ça commence très fort ; en langage politicien, on dit ceci :
« Nous prendrons en avril des décisions extrêmement précises pour que la spirale des déficits ne porte pas atteinte à la crédibilité de notre pays »
Si l’on décrypte, on doit comprendre ceci :
« Nous prendrons plus tard des décisions extrêmement précises parce que si on le fait maintenant tout de suite, avec ce qu’on s’est enfilé ce midi, il n’est pas dit que ce soit très judicieux. »
Une question taraude le lecteur : pourquoi avril ? La situation de la dette est-elle à ce point une surprise pour le staff qui est venu gober du petit-four ce jour-là ? On imagine les sérieux cadres, regardant les chiffres, tirant une tronche de 2 mètre de long et déclarer, les mains tremblantes : « Ah, c’est plus grave que ce que nous pensions. On va avoir besoin de temps, mettons … jusqu’à avril, histoire de bien tout décortiquer. »
Et puis, annoncer qu’on va prendre, dans trois mois, des décisions extrêmement précises confine au ridicule : « Nous prendrons à une date indéterminée dans un futur proche des décisions vagues et générales », voilà qui aurait eu du panache.
Evidemment, chère (très chère) bande d’andouilles, qu’on espère que vos décisions seront précises ! Avec vos salaires, il ne manquerait plus encore qu’elles soient évasives. Et puis, on pourra dire : ça va nous changer.
Quant à parler ici de « crédibilité », pour un pays qui a été rigoureusement, totalement et compactement incapable d’essayer la moindre tentative d’approche de début d’étude d’une possibilité de commencement de réforme de fond sur les trente dernières années, c’est placer très haut la barre du Foutage de Gueule Olympique.
Je vous l’avais dit : ça dépote.
Mais s’arrêter ici aurait été trop court. Parti sur sa lancée, le chef de l’Etat ne s’est pas arrêté là (le repas fut solidement arrosé, qu’on vous dit) :
« Notre premier devoir est de faire un diagnostic partagé pour élaborer ensemble la stratégie de redressement »
Encore une fois, c’est du calibre d’artillerie, ça. Fini de s’amuser, on ne ménage plus le citoyen, on va le pilonner sauvagement avec de l’action qui actionne des manoeuvres de mouvements qui bougent !
Car voyez-vous, depuis 30 ans que les dettes se creusent, on ne savait pas exactement ce qui se passait. Dans une arrière-cour humide de Bercy, quelques comptables aux vestes usées et aux coudes rapiécés de ronds de cuirs dont ils tireront, plus tard, leur nom, faisaient au début janvier de chaque année des additions et des soustractions pour aboutir au constat effarant que les sommes des dépenses de l’année passée étaient supérieures aux sommes des recettes. Et depuis, dans l’arrière-cour sombre et humide, les petits crânes d’œuf s’agitaient pour trouver où, nom d’une pipe en bois, se trouvait le différentiel. Comment cela se faisait-il donc ? Où partait la différence, sabre de bois ?!
Heureusement, cette année, et, pour être super-précis, en avril, on va enfin faire un diagnostic, déterminer où se cache le problème et surtout, une fois qu’on saura qui est parti avec les milliards, on va élaborer de la stratégie de redressement en grosses bulles mousseuses pleines d’enzymes de croissance.
Car justement, c’est sur la croissance que mise notre brochette d’experts en finances publiques pour sortir la France de l’ornière du trou du gouffre de l’abîme : le chef de l’Etat a promis de consacrer au désendettement « toutes les recettes supplémentaires qui pourraient venir de la croissance ». Hein, voyez, c’est pas de la demi-mesure, on va faire dans le super-précis.
Avec une croissance de 1% au mieux l’année prochaine, ça fait combien de milliards en plus dans les caisses, tout ça ?
-140 milliards ? Si vous n’avez pas bien vu le petit signe avant le 1 de la centaine de milliards, il s’agit bien d’un moins. Eh oui : les recettes supplémentaires de la croissance vont nous permettre d’amoindrir le déficit 2010. Voilà une bonne nouvelle, non ? Et concernant les déficits futur, Sarkozy a été très clair (et très précis, hein, aussi) et a été jusqu’à ne pas exclure complètement la possibilité d’étudier une éventuelle « règle d’équilibre pour l’ensemble » des administrations publique.
Pour avril ?
Pffffu, comme vous y allez.
Pas avant 2013, les enfants, pas de panique ; on a les moyens, c’est pépère ! Et ça tombe bien, 2013, c’est après les élections présidentielles – c’te hasard de malade, tout de même !
C’est décidé : après une Graônde Conférence pareille, la France est sauvée. Fini les déficits, fini les gabegies et les conférences petit-four ou des ministres viennent rigoler devant un petit rouge de la cave présidentielle ! On va se mettre à bosser comme jamais, on va tailler dans les dépenses, on va se serrer la ceintures des autres, et vous allez voir que pour gagner plus, ils vont nous faire travailler plus. Garanti.
…
Les petites gesticulations pré-électorales cachent très mal l’absence totale de plan général de bataille pour mettre l’état à la diète. Rien, absolument rien n’est prévu, si ce n’est une litanie amusante de petites broutilles oratoires, de petits arrangements à la marge, qui permettront de ne pas dépenser 5 milliards quand on sollicitera tout de même le marché pour … 140 (!)
Dans le meilleur des cas, l’Etat fera, dans les trois prochaines années, moins de déficit que prévu. Autrement dit, au lieu de creuser avec une main-d’oeuvre abondante et des pelles, il emploiera une pelleteuse. Sauf qu’à bien y réfléchir, en 2009 et cette année, ils ont surtout employé l’explosif.
Et à jouer avec des choses qu’on maîtrise mal, on a tôt fait de se faire péter le museau.