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Nick Cave l’antithèse du romantisme
Nick Cave est un homme au regard qui en dirait assez long sur sa définition de l’existence, dont la littérature est omniprésente. Sorti à plusieurs reprises d’overdose d’héroïne, son héroïne littéraire à lui maintenant c’est tout ce qui touche de près ou de loin au macabre. Déjà avec son groupe The Bad Seeds, les pulsions autodestructrices et la fascination pour les meurtriers étaient son fonds de commerce. Nick Cave, un homme étrange qui puise en lui les histoires les plus noires et son dernier roman (sixième en dix ans) « Mort de Bunny Munro » aux éditions Flammarion en est encore la preuve.
Un strip rock noir
Le chanteur qui aime tant les lettres ne se prive pas d’observer l’homme et de le peindre dans une atmosphère singulière aux traits qui sentent le soufre. Et Bunny, le héros de son dernier livre dénonce son goût pour le « sex, drug & rock’n’roll ». Bunny Munro est un shooté des sensations fortes de la drogue, de l’alcool et surtout du sexe. Il voit des vagins partout et ne peut s’empêcher de « fourniquer » tout ce qui se trouve sur sa route (si ce n’est pas se faire du bien tout seul). Nick Cave nous plonge dans le monde prolétaire des cotes anglaises de Brighton. Dans une ambiance digne d’un Tarantino (dans une veine Jackie Brown).
Bunny est représentant cosmétique. Il semble charmant et charmeur et se sert d’un sex appel qu’il contrôle à merveille pour assouvir un besoin sexuel évident. Bunny est marié depuis une dizaine d’années. Son épouse dépressive sait depuis neuf ans que son mari la trompe. Ça la rend malade au point d’orchestrer son suicide dans le domicile conjugal, laissant leur fils de neuf ans par la même occasion. Bunny est à la masse, complètement à côté de ses pompes, il se sent exister en séduisant, enfourchant et passant sa route dans sa Polo jaune. Bunny Junior, lui, est un enfant très intelligent, connaissant toutes les capitales du monde, qui a pris soin de sa mère comme il a pu. Et se voit maintenant prendre soin de son père qu’il admire plus que tout, intervertissant du même coup les rôles.
Après le décès de sa femme, Bunny décide de prendre le contrôle de sa vie en se sentant coupable de la situation, mais les bonnes résolutions n’ont qu’un temps. Il a besoin qu’on s’occupe de lui. Il prend sa voiture, prend son fils comme copilote et part sur une route compliquée émotionnellement vendre les produits de beauté.
Recherche tendresse désespérément
Nick Cave écrit son dernier roman lors d’une tournée rock. Il observe et se met dans la peau d’un homme perdu, sans ambition dont de toute évidence les fêlures le rendent incapable de faire quoi ce soit de sa vie. Le sexe omniprésent devient nauséabond. Bunny couche avec n’importe qui, n’importe quoi. Au point de laisser planer le suspense pendant tout un chapitre qu’une rencontre avec une vieille dame aveugle ne serait pas un frein aux fantasmes curieux de l’écrivain. Le viol n’est pas loin, si ce n’est largement sous-entendu avec une junkie qui ressemblerait à Avril Lavigne (le fantasme de Bunny).
Le mélange de sexe et de tendresse se fait sentir. Entre les lignes faudrait-il lire que Bunny se perd dans l’idée d’être un homme viril avec son « engin » au détriment d’une tendresse au-delà du sexe ? Mère absente ou étouffante qui castre d’une certaine façon ces hommes qui ne savent plus comment donner et recevoir de la tendresse si ce n’est pas le sexe ? Un complexe d’Œdipe dont l’homme se veut dominant pour punir ou feinter de ne pas tomber dans un schéma de coucher avec la mère. Besoin de violence, de non-respect pour garder l’estime de soi ? Le bien-être sexuel étant finalement l’alternative à une vie sinistre.
La vision de la femme n’est pas mal non plus, puisque toutes les femmes que Bunny rencontre sont toutes plus « cochonnes » les unes que les autres, entrant dans le jeu du soi-disant séducteur à la cravate aux lapins et aux chemises de représentant aux multi couleurs. Bunny Junior plus ou moins témoin de toutes les affaires de son père, observe un homme qu’il idéalise et s’investit dans la mission de le protéger. Il lui essuie la bouche au restaurant, le ramasse sur le trottoir. Et le regard d’un père perdu commence à effrayer un enfant d’à peine neuf ans qui comprend déjà trop de choses du monde des adultes. À la recherche de sa mère morte, il n’est qu’un observateur dans le roman en opposition avec un homme adulte déchiré, blessé.
Démission et Rédemption
Nick Cave, en personne
La notion de l’abandon est omniprésente. Abandonnés par une épouse et par une mère, à tour de rôle les Bunny vont tenter de trouver une réponse à leur manière (avec une fin des plus étonnantes). Mais la fragilité des deux hommes s’observe en parallèle. Un qui ne sait pas quoi faire de son fils dans une veine d’un Kramer contre Kramer apprend à le connaître. De jolis passages poignants entre un père et un fils nous filent des frissons. La sincérité de la plume de Nick Cave est bouleversante. Les mots crus, les descriptions à en vomir nous plongent dans un monde noir (ouvrier ou de femmes au foyer recevant Bunny en survêtement, ou en jupe laissant deviner les culottes presque humides), dont les hommes et les femmes s’enferment dans le fatalisme de « c’est la vie ». Néanmoins, la plume Nick Cave est juste. Les métaphores sont puissantes et l’humour acide a toute sa place.« Mort de Bunny Munro » est un livre difficile à lire. Il faut avoir le cœur bien accroché. Ce sont environ 285 pages de délires sexuels, où Bunny Munro démissionne de ses responsabilités. Mais si nous avons le courage d’aller jusqu’au bout, les six derniers chapitres (48 dernières pages) sont les plus intéressantes, plus subtiles, avec une grande force qui donnent un vrai sens à tous les actes des Bunny.
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