Le mot interprétation est un mot commun dans le monde de la musique, signifiant souvent la manière de jouer d’un interprète. En effet, c’est souvent l’exécution elle-même qui nous renseigne sur l’interprétation faite du texte. Reflet de la pensée de l’instrumentiste, son jeu dévoile beaucoup sur sa relation à l’art musical. L’esprit contrôle le discours, que ce soit conscient ou pas, et l’exécution nous informe du travail intellectuel effectué. Dans un sens, jouer est une implémentation du travail intellectuel. De même qu’un acteur ne se lancerait pas dans la déclamation d’un texte qu’il ne comprend pas, j’ose espérer que le musicien se garde de jouer une partition qu’il ne peut pénétrer. Musicien et interprète sont les deux faces de la même pièce, ils ont besoin l’un de l’autre, l’un nourrit l’autre et inversement; de l’inspiration naît l’interprétation, de l’interprétation se nourrit l’inspiration.
Toute interprétation est interprétation de quelque chose. Ce quelque chose, objet de notre interprétation est l’œuvre musicale, ou plutôt son support de transmission ô combien imparfait appelé partition. Chaque signe qu’elle contient définit un espace a deux dimensions; la dimension de l’univoque et celle de l’équivoque, et c’est cette dernière que nous interprétons. Nous interprétons donc ce qui n’est pas clair, ce qui implique un jugement et tel un juge, nous devons appuyer ce jugement par un ensemble de faits et de signaux, pas sur la seule bonne intention ou le bon sentiment. L’interprétation du texte est utilisation d’un ensemble d’observations, a priori non-évidentes et qui n’apparaissent pas au premier degré, observations qui permettent une conclusion orientant l’équivoque. Autrement dit, « interpréter, c’est donc mettre à découvert l’implicite, aller vers l’élucidation d’un objet qui d’abord se refuse. » (Serge Carfantan).
Garder l’esprit ouvert est donc essentiel: il faut savoir remettre en cause et éviter de tomber dans une routine de l’interprétation. « Interpréter un texte, ce n’est pas lui donner un sens… C’est au contraire apprécier de quel pluriel il est fait » nous dit Roland Barthes (S/Z p.11).
Le travail de l’interprète est ambigu. D’un coté, il doit s’effacer devant l’œuvre qu’il restitue pour ne pas l’altérer, ou la déformer, mais de l’autre le paradoxal travail interprétatif lui demande de s’impliquer de tout son être et le conduit à faire des choix qui influencent l’œuvre. Comme deuxième paradoxe, nous interprétons pour nous libérer de l’interprétation.
Parfois la recherche d’interprétation est absolument nécessaire: dans le monde du baroque, la recherche vers une interprétation authentique est devenue condition sine qua non de l’exécution. Fouille des manuscrits de l’époque contemporaine de l’œuvre, recherche sur la sonorité des instruments eux-mêmes, obligation de se dégager des influences romantiques font, entre autres, partie du quotidien des « baroqueux ». Parfois le travail de l’interprète reste tronqué, vide, non-justifié et celui-ci emprunte à d’autres ce qu’il aurait du penser seul. Cela n’aboutit qu’à un collage d’esthétiques, grotesque patchwork musical dénué d’unité.
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