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Avec Burn after reading, les frères Coen avaient fait le film le plus inconséquent qui soit. Inconséquent, au sens littéral: on se rendait compte à la fin du film qu'aucune action ne portait vraiment à conséquence. L'entrelacs d'intrigues ne menait à rien, les personnages gesticulaient en vain - la conclusion du film était en substance: "qu'avons nous appris dans cette histoire? - rien du tout." Burn after reading était une futilité par excellence, un peu comme Intolerable cruelty quelque années auparavant. Mais une futilité disant quelque chose d'elle-même, avec ce fameux premier degré et demi que seuls les frères Coen savent manier: à fond dans la comédie, et à fond dans l'ironie - de tout cœur avec le loser, et de tout cœur à moquer sa vie minuscule. C'était le sens des plans d'ouverture et de fermeture de Burn after reading, simulant le point du vue du satellite: vanité de la terre vue du ciel.
Avec A Serious Man, le point de vue change radicalement. Ce n'est plus le surplomb de l'image satellite qui nous est proposé: on est pris, cette fois-ci, dans le cycle universel. Et c'est d'ailleurs là-dessus que repose la mécanique de comédie. Il y a une logique de la récurrence, dans A Serious Man, qui va de l'arrivée quotidienne de Larry au bureau de l'université - où le doyen vient immanquablement, sur le pas de la porte, insinuer de mauvaises nouvelles - jusqu'à la maison où il habite, et vers laquelle son fils rentre à chaque fois en courant, pour éviter un camarade à gros bras. Bien pire et bien mieux que du comique de répétition: c'est comique parce que c'est cosmique!
Les gestes pèsent leur poids, les actions portent à conséquence (c'est du moins ce qu'essaie d'expliquer Larry, en professeur de physique, à l'élève qui veut le soudoyer), mais tout ça s'inscrit dans un ordre qui dépasse les personnages du film. Un ordre qui, avant d'être cosmique, est au moins spatial. C'est Larry se faisant chasser de chez lui par sa femme et par un homme doucereux, c'est la frontière de jardin qui se voit contestée par des voisins - et, au-delà de ça, c'est l'ordre symbolique du mariage, de la famille, de la mort qui se délite pour mieux se reformer sans lui. Pour mieux l'écraser. Larry tout petit au pied d'un tableau géant couvert de formules, voilà un plan suffisamment éloquent.
Et pourtant, A Serious Man ne fait pas que répéter le même refrain des Jefferson Airplanes. Bien des choses sont emmenées dans l'orbite de la fatalité. En parallèle il y a d'abord la quête initiatique de son fils Danny, sur le point de faire sa Bar Mitzvah et, surtout, de récupérer enfin son walkman, puis le conte yiddish qui ouvre le film et porte sur l'ensemble une lumière...opaque. Et enfin toutes les petites histoires dans l'histoire de Larry: les rêves, les affaires du frère accro aux jeux, les trois rabins, l'histoire de la dent du goy, etc. L'éternel retour n'interdit pas le foisennement: les frères Coen, ils sont plusieurs à l'avoir souligné, semblent s'être inspirés de la Kabbale pour créer un univers fécond et plein de signes indéchiffrables.
Les personnages ont beau s'enfoncer dans cette construction complexe, comme Danny avançant dans le bureau du savant rabbin, ils ne donnent pas moins l'impression très simple de tourner en rond: même s'il prononce d'énigmatiques formules, le rabbin est finalement celui qui rend le walkman. Toute la complexité est résolue par son irrésolution même, toutes les questions tranchées par l'absurde. Jusqu'aux deux grandes non-réponses qui ferment le film, une organique et une météorolique.