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L'architecture devient l'utopie de la vie

Par Villefluctuante

J'ai travesti un très beau texte de Roland BARTHES issu du degré zéro de l'écriture en remplaçant le mot littérature par le mot architecture. M'excusant par avance de l'attentat proféré, j'en ressens néanmoins une profonde excitation en me rendant compte que le texte conserve toute son actualité et une vérité que le décentrement de la discipline fait apparaître par miracle.

On voit par là qu'un chef-d'oeuvre moderne est impossible, l'architecte étant placé par son écriture dans une contradiction sans issue : ou bien l'objet de l'ouvrage est naïvement accordé aux conventions de la forme, l'architecture reste sourde à notre histoire présente, et le mythe architectural n'est pas dépassé ; ou bien l'architecte reconnaît la vaste fraîcheur du monde présent, mais pour en rendre compte, il ne dispose que d'une écriture splendide est morte, au moment de choisir les formes qui doivent franchement signaler sa place dans l'histoire et témoigner qu'il en assume les données, il observe une disparité tragique entre ce qu'il fait et ce qu'il voit ; de ses yeux le monde civil forme maintenant une véritable nature, et cette nature parle, elle est d'abord des organes vivants dont l'architecte est exclue : au contraire, entre ses doigts, histoire place un instrument décoratif et compromettant, une écriture qu'il a hérité d'une histoire antérieure et différentes, dont il n'est pas responsable, et qui est pourtant la seule qui dont il puisse user. Ainsi naît à tragique de l'écriture, plus que l'architecte conscient doit désormais se débattre contre les signes ancestraux et tout-puissants qui, du fond d'un passé étranger, lui impose l'architecture comme un rituel, et non comme une réconciliation.

Ainsi sauf à renoncer à l'architecture, la solution de cette problématique de l'écriture ne dépend pas des architectes. Chaque architecte qui naît ouvre en lui le procès de l'architecture ; mais s'il condamne, il lui accorde toujours un sursis que l'architecture emploie à le reconquérir ; il a beau créer et un langage libre, on lui renvoie à fabriquer, car le luxe n'est jamais innocent : essai de ce langage ainsi éclos par l'immense poussée de tous les hommes qui ne comprennent pas, qu’il lui faut continuer d'user. Il y a donc une impasse de l'écriture, et c'est l'impasse de la société même : les architectes d'aujourd'hui le sentent : pour eux, la recherche d'un nom style, d'un degré zéro, c'est en somme l'anticipation d'un état absolument homogène de la société ; la plupart comprennent qu'ils ne peut y avoir de langage universel en dehors d'une université concrète, et non plus mystique ou nominale, du monde civil.

Il y a donc dans toute cette écriture présente une double postulation : il y a le mouvement d'une rupture est celui d'un avènement, il y a le dessin même de toute situation révolutionnaire, dont l'ambiguïté fondamentale et qu'il faut bien que la révolution puise dans ce qu'elle veut détruire l'image même de ce qu'elle peut posséder. Comme l'art dans son entier, l'architecture porte à la fois l'aliénation de l'histoire et le rêve de l'histoire : comme nécessité l'atteste le déchirement des langages, inséparable du déchirement des classes : comme liberté, elle est la conscience de ce déchirement et les formes mêmes qui veulent dépasser. Se sentant sans cesse coupable de sa propre solitude, elle n'en est pas moins un imagination avide d'un bonheur des formes, elle se hâte vers un langage élevé dans la fraîcheur, par une sorte d'anticipation idéale, figurerait la perfection d'un nouveau monde adamique où le langage ne serait plus aliéné. La multiplication des écritures constitue une architecture nouvelle dans la mesure où celle-ci n'invente son langage que pour être un projet : l'architecture devient l'utopie de la vie.


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