Trop rares sont les expositions de Jean-Paul Marcheschi : il faut aller, d’ici au 14 février, à Nemours, dans ce lieu improbable qu’est le Musée de la Préhistoire, cubes de béton brut à l’orée de la forêt, pour y voir un bel ensemble de pièces de Marcheschi, inspiré par les lieux et par Les Fastes d’Ovide, qui ont donné son titre à l’exposition*.
Se réfugier à l’intérieur du musée pour échapper à ces démons de bronze vous conduit face aux grandes compositions de Marcheschi, qu’il faut d’abord décrire en deux mots : scripteur compulsif, l’artiste
couvre chaque jour d’une écriture quasi automatique, aux limites de la conscience, des milliers de feuilles de classeur A4. Certaines sont conservées dans ses Livres Rouges; d’autres sont recouvertes de cire puis redessinées à la suie pour composer d’immenses dessins pleins de fulgurances et de brûlures, recouvrant des murs entiers, parfois rétro-éclairés, parfois laissés dans une semi-pénombre (ci-dessus Le Grand Lac). Cette création palimpseste génère ainsi de nouvelles images à partir des textes et des dessins originaux, désormais à peine visibles sous la cire et la suie. La composition en assemblage, en montage va de la feuille au mur, du particulier au général, du rebut à l’oeuvre. On peut les regarder de loin, s’imprégner de la composition d’ensemble, puis s’en approcher et tenter de déchiffrer les motifs originaux. Le travail de Marcheschi ne cesse de nous poser la question de notre position en tant que spectateur, de notre distance, de notre engagement, de notre adhésion aux mythes antiques ici présentés. Tout ici parle de mort et de résurrection, de croyances aussi éternelles que l’homme, de magie et d’enfer, de feu et de cendres, de noirceur immémoriale. Le Styx, le Léthé, Charon, Ouranos, Horus, tous les passeurs entre deux mondes sont ici convoqués (ci-dessus Le Lac des Oiseaux). Plusieurs des pièces présentées ici sont clairement en résonance avec le domaine du Musée, où sont présentées de nombreuses trouvailles préhistoriques faites en Île de France. Au bout de cette barque monoxyle de 14 mètres (carolingienne et non préhistorique, d’ailleurs, trouvée à Noyen) se dresse le Nocher, celui qui nous fera franchir le Styx pourvu qu’une obole ait été posée entre les dents de notre cadavre pour le payer : est-ce une sculpture de Marcheschi ou est-ce une statue préhistorique, hésite-t-on un instant, tant ces mythes sont pérennes. Alors que la majorité des compositions tirent vers le noir, une salle à l’étage, celle des Morsures et des Oracles, est éblouissante de blancheur. La grande composition au fond, toute de scansions et de vibrations évoque le Paradis de Tintoret (Paradis III); s’en détache la Scriptrice, une sculpture décharnée qui évoque pour moi les Christs romans de Catalogne. A côté, sur un socle, un crâne néolithique trépané : merveille médicale préhistorique. Cette salle est une des plus fortes de l’exposition, c’est ici que le rythme, la respiration de l’oeuvre s’impose le plus au spectateur. Voici enfin, sur un mur semi-circulaire Horus auquel nous avions échappé et que nous retrouvons ici dessiné à la suie, immense et toujours triomphant, au sein d’une composition plus large, Ouranos.A noter le très beau catalogue, avec un texte de l’ineffable Oulipien Jacques Roubaud, aux éditions Lienart.
* Une autre exposition de Marcheschi, que je n’ai pas vue est jusqu’au 7 février dans un autre Musée de la Préhistoire, celui de Solutré.
Photos de Stefan Meyer, provenant du site de Jean-Paul Marcheschi.