Anne Sofie von Otter et William Christie : un baroque aux lumières crépusculaires

J'ai mentionné à plusieurs reprises dans le blog mes réserves sur la (trop) parfaite tenue des Arts Florissants sous la direction de William Christie. Il y a dans le style imprimé par le chef américain un côté extrêmement net, léché, et quelque peu hiératique qui m'a toujours un peu gêné. Cependant, force est de constater la contribution indéniable de cet ensemble à l'exploration du répertoire baroque, notamment ses compositeurs français. Après trente ans d'existence, cet ensemble s'impose indéniablement comme une formation musicale majeure de notre époque.

Le dernier enregistrement qu'il vient de réaliser avec la mezzo-soprano Anne Sofie von Otter ne déroge pas à cette règle d'une forme de posture aristocratique, de "haute tenue" à la recherche du comble de l'élégance et du raffinement. Paradoxalement, dans ce cas précis, cela ne me dérange absolument pas, et l'association ici présentée ne tombe pas dans les travers, ni du "baroque chic" (contrairement à ce que la couverture du disque pourrait suggérer), ni d'une préciosité quelconque.

 Le choix des arias, dont celles du chef d'oeuvre Médée de Marc-Antoine Charpentier occupent une place centrale, est particulièrement intéressant car il préside, semble-t-il à la tonalité générale assez envoutante de cet album. Anne Sofie von Otter révèle une sorte de "ténébreuse sensualité". L'intelligence de son phrasé, la subtilité extraordinaire de ses intonations nous captivent de bout en bout. Les sonorités limpides raffinées des Arts Florissants constituent, comme dans toute réussite de ce type, l'écrin soyeux de cette voix magnifique. Cela fait très longtemps qu'à l'écoute d'une telle beauté de l'interprétation, je ne m'étais trouvé plongé dans quelque jardin baroque imaginaire et crépusculaire. 

Il ne faut pas attendre d'Anne Sofie von Otter une démonstration d'agilité à toute épreuve où le déploiement d'un "coffre" prêt à saturer l'auditeur. La chanteuse suédoise incarne au contraire une fausse fragilité vocale et une vraie force narrative, une articulation exemplaires et, finalement, une aptitude fascinante à nous révéler toute la puissance dramatique de ces arias.

On opposera alors tout naturellement cette lecture d'une plasticité étonnante, avec des phrases étirées comme pour mieux nous faire savourer leurs saveurs sensuelles, à celles, finalement plus sèches et "expéditives"  auxquelles peuvent nous avoir habitué des chefs comme Hervé Niquet par exemple. Parmi les pièces magnifiques de ce disque on notera, outre la sublime "Ombre de mon amant", tirée de Médée et reprise comme titre de l'album, les splendides "... Cruelle mère des amours" de l'acte 3 et "Quelle plainte ne ces lieux m'appelle" de l'acte 4 d'Hyppolite et Aricie de Jean-Philippe Rameau.

Avec la malice qu'on leur connaît, Anne-Sofie von Otter et William Christie ont également parsemé cet enregistrement de pièces écrites par Michel Lambert dont le tout à fait madrigal (et explicite)  "Ma bergère est tendre et fidèle".

Ce disque est une indéniable réussite et restera marquant par sa haute tenue.

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Lien direct vers le player pour écouter des extraits.

Ombre de mon amant - Arias de Marc-Antoine Charpentier, Michel Lambert, Jean-Philippe Rameau - Anne Sofie von Otter - Orchestre et choeur des Arts Florissants - Direction William Christie - label Deutsche Grammophon.