Les premiers cours de mathématiques du nouvel agrégé... Imad Lahoud

Publié le 28 janvier 2010 par Sylvainrakotoarison

(dépêche)
Les premiers cours de mathématiques du nouvel agrégé... Imad Lahoud
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Portrait
Imad Lahoud, échecs et maths
LE MONDE | 27.01.10 | 13h56  •  Mis à jour le 28.01.10 | 08h06
Pull standard, jean, casque de scooter écaillé. L'Imad Lahoud de janvier 2010 ne ressemble plus au prévenu qui siégeait aux côtés de Dominique de Villepin à l'automne 2009 dans le procès Clearstream. Celui qui attend le jugement du tribunal, rendu jeudi 28 janvier, n'a plus rien en commun avec l'agent de renseignement qu'il fut, brièvement, en 2003, avant d'être congédié par la DGSE. Ni avec le trader qu'il avait été auparavant. Dans la vie de M. Lahoud, il y a plusieurs vies.
 
Cette fois, il est passé de la fréquentation des politiques et des décideurs à celle des lycéens. Aux dires de ses élèves du lycée Racine à Paris, où il assure les huit heures de son service d'enseignant stagiaire, l'homme de Clearstream serait un "excellent prof". "Le meilleur", selon Raphaële (1re S). "Je suis passée d'une moyenne de 3 à 14", n'en finit pas de s'étonner Mathilde (1re L). Avec ses élèves, il a cette connivence un rien démago qui lui fait noter, façon chevalier Jedi dans Star Wars - "Que la force soit avec toi" - sur les copies.
Si l'oeuvre de George Lucas côtoie les plus grands mathématiciens dans le Panthéon lahoudien, l'homme estime surtout "qu'il faut de la force pour faire des maths". De l'énergie et une approche. Or, avec M. Lahoud, on fait des exposés. Après "Mathématiques et musique" viendra "Maths et cryptologie". Cela s'invente d'autant moins que c'est pour une histoire de listings que l'homme est poursuivi dans l'affaire Clearstream. "Pour nous intéresser au maniement d'Excel, il nous a rappelé que c'était l'objet du délit", s'amuse une de ses élèves.
Les commentaires de l'inspecteur qui a visité le jeune enseignant sont eux aussi élogieux. Son rapport d'inspection, que Le Monde a consulté, conclut à une "excellente maîtrise de la discipline enseignée", note que "le programme est bien avancé et que les notions sont introduites et travaillées avec pertinence". Seul bémol, le prof de maths est prié "de prendre en compte les difficultés des élèves plus discrets ou plus lents".
On ne se refait pas. Imad Lahoud est élitiste dans l'âme. Il a fréquenté les têtes bien faites de la politique et du renseignement, épousé une énarque de bonne famille, Anne-Gabrielle Heilbronner. Il n'est jamais autant dans son élément que lorsqu'il "colle", quelques heures par semaine, les futurs normaliens ou polytechniciens des lycées Louis-le-Grand ou Claude-Bernard, à Paris, où il assure aussi quelques heures de travaux pratiques en informatique.
A Racine, il a proposé au proviseur de préparer les meilleurs élèves au concours général et aux Olympiades de mathématiques. Bénévolement. Mais l'excès de zèle indispose ses confrères. Même si le motus et bouche cousue est de mise sur ce collègue au passé sulfureux et à l'avenir en point d'interrogation, des petits signes ne trompent guère. "Au conseil de classe, une prof lui a dit sur un ton hautain : "Jeune professeur, on viendra prendre des cours dans votre classe"", rapporte un membre de cette instance. Côté parents, certains se sont agacés qu'on confie leurs enfants à un prévenu - présomption d'innocence ou non -, mais, foi de lycéens, leurs appréciations auraient rapidement tu les critiques.
Comment cet homme en quête de reconnaissance a-t-il bifurqué vers l'aridité des mathématiques ? Pourquoi a-t-il choisi ce chemin trop austère pour les faux-semblants et cet espace où le mensonge s'écroule plus vite que dans le renseignement ? Le tout pour gagner 1 540 euros de salaire de base (auxquels s'ajoutent ses vacations en classes préparatoires). "Une porte était restée entrouverte chez moi pour cette discipline que j'aimais bien, où j'ai toujours réussi", explique-t-il. Lycéen moyen chez les jésuites, maths sup et spé en semi-dilettante à Janson-de-Sailly, ratage méthodique de tous les concours des grandes écoles - alors que son frère intègre l'X - , il avait sans doute une revanche à prendre pour exister vraiment.
C'est en 2006 qu'a lieu la conversion. A l'époque, il vient d'être viré d'EADS. Il s'inscrit à la préparation haut de gamme de Paris-VII, un peu comme on entre au couvent. La première année, une dépression le tient loin des cours. Il rempile et prend en pleine figure la violence de cette discipline ardue, ces lois mathématiques aux antipodes des entourloupes et de la mystification. Entre les auditions de l'affaire Clearstream, il campe à la bibliothèque. Thérapie par le travail ? Certains préfèrent l'idée "d'une rédemption par les maths".
Celui que le vice-procureur Romain Victor qualifia en octobre 2009 d'"escroc dont la propension au mensonge est incomparable" anticipe son rachat à coups de démonstrations. "Il nous offre au moins un exemple de quadragénaire courageux, patient, qui bosse pour se reconvertir. Un être humain au pied du mur qui travaille à un âge mûr sans certitude du lendemain", précise un de ses compagnons de galère sur le site de l'agrégation de maths (Mathematiques.net).
Aux devoirs blancs du samedi, il cartonne dès le début. Le 15 décembre 2007, il est classé premier de sa promo, avec 13,6 sur 20 en mathématiques générales. Un peu avant, il décroche un 15,9. Armé pour "l'agreg", il la rate en beauté. "Refus d'obstacle", dit-on. Le meilleur de cette prépa d'élite n'est même pas admissible. Mais ce concours qui couronne les têtes bien faites, il le veut. Revanche sociale oblige pour celui qui a grandi au Liban et a débarqué en France à l'adolescence. Alors, Sisyphe des maths, il recommence. Et à l'été 2009, à la veille de son procès, il est admis. Reçu 196e sur 253, le voilà détenteur de ce titre prestigieux, lui qui n'avait que deux DEA et avait fait croire qu'il était normalien. Ironie du sort, sa plus mauvaise note, celle qui l'enfonce au classement sous le rang des 100 premiers, est celle de l'épreuve d'informatique.
Reconnaissant, il écrit à un des responsables chargés de la préparation. "C'est grâce à une super-équipe de Paris-VII que j'ai réussi à tenir l'épreuve difficile de l'instruction." Ce à quoi le mathématicien lui répond : "Si nous vous avons aidé, il est clair pour moi que vous nous avez aussi aidés, en jouant ce rôle si utile de coach ou de grand frère auprès de nos jeunes."
Cette vocation tardive est-elle soluble dans le jugement du 28 janvier ? Résistera-t-elle aux dix-huit mois de prison ferme et 45 000 euros d'amende requis contre lui ? "Hors privation des droits civiques, une condamnation n'entraîne pas de radiation automatique du statut de fonctionnaire", précise-on aux affaires juridiques de l'éducation nationale. L'affaire se complique un peu du fait que le fonctionnaire incriminé est encore stagiaire, mais l'appel de l'une ou l'autre des parties pourrait changer la donne.
En attendant, une de ses élèves a ouvert sur Facebook un groupe, intitulé "Pour tous ceux qui soutiennent M. Lahoud", où on lit : "Parce que Imad Lahoud est un professeur génial ! Parce que si on a notre bac, ce sera en grande (très grande !) partie grâce à lui. Parce qu'on veut Lahoud avec nous toute l'année." Lorsqu'il se dit "plus doué pour l'enseignement que pour les affaires", le prof de mathématiques dit peut-être bien la vérité.
Maryline Baumard
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Parcours
1967
Naissance à Beyrouth (Liban).
1990-1991
Obtient deux DEA, en physique et en mathématiques.
2003
Début et fin de la collaboration avec la DGSE.
2004
Recrutement à EADS.
2009
Agrégation de mathématiques.
28 janvier 2010
Jugement en première instance au procès Clearstream. La peine requise est de dix-huit mois d'emprisonnement ferme et de 45 000 euros d'amende.
Article paru dans l'édition du 28.01.10