Prologue
L’année 1969 a été trépidante mes amis, nous sommes en train de vivre une révolution mes frères, la Pop s’est imposée depuis 4 ans dans notre paysage culturel et qui pourrait encore prétendre aujourd’hui qu’elle sera un jour détrônée. Bientôt l’année 70 nous verra entrer dans une nouvelle décennie de libertés nouvelles, de bouleversements politiques, Nixon va t-il oui ou merde retirer les troupes américaines du nord Vietnam ? Cette année donc fut merveilleuse à plus d’un titre. Les Beatles ont une fois n’est pas coutume ajouté un chapitre de plus à leur histoire qui est aussi un peu la nôtre : Abbey Road est une preuve supplémentaire de leur génie mélodique et nous croyons tous en ces prochaines années où ils régneront probablement en maîtres, tous les quatre, unis comme jamais. Et dire que nous avons vécu de si belles années avec Revolver, Sergent Pepper’s, le double blanc et cette dernière et rutilante livraison. Ces derniers ont aussi compté des petits nouveaux, King Crimson qui a fait sensation en première partie des Stones à Hyde Park en juillet dernier. Soft Machine réduit à un trio a confirmé tout le bien que l’on pensait d’eux avec un second volume sorti en septembre. Sans oublier le jeune David Bowie qui vient de nous livrer son deuxième album il y a quelques semaines, Space Oddity, envoyant ainsi le Major Tom dans les limbes du cosmos. L’Amérique n’a pas été en reste : le mois de mai a vu l’émergence d’une scène latino au cœur même de San Francisco mené par le jeune guitariste Carlos Satana. Un premier album en mai puis la consécration au festival de Woodstock que nous avions déjà relaté pour vous cet été. L’avenir s’annonce donc radieux.
Préambule
Stop, mettons fin à cette mascarade. Enfin, à cette forme inversée d’uchronie, un voyage dans le temps réinventé, mais imaginé sur la base de faits réels. Cette démarche a de quoi surprendre, elle n’a pour but que de souligner le moment solennel que nous vivons. Une décennie vient de s’achever. Le mot est lâché. Cela n’a l’air de rien, la phrase pourrait flotter comme cela dans l’espace, mais l’instant est à marquer d’une pierre blanche. Une fin de décennie n’est pas, par définition, une fin en soi. Elle s’ouvre forcément sur nouveau chapitre. Cependant les années zéro ont quelque chose de particulier, de suave. Nous avons vécu dix ans de « création musicale » à l’aune du développant des réseaux mondiaux dont Internet s’est fait le vecteur principal. Mieux encore, ces 10 années nous appartiennent vraiment. Je ne suis pas né dans les années 60, j’ai à peine eu le temps de faire connaissance avec la décennie suivante. Les années 80 ont plus été télévisuelles que musicales pour deux raisons : 1/ Ce ne furent pas vraiment mes années adolescentes. 2/ La production musicale fut longtemps gangrénée par cette pop variété, symbole de l’hégémonie de l’industrie du disque, du clip et de l’argent roi. Paradoxe ultime : alors que les années 90 venaient au monde dans un braillement grunge, je commençais mon apprentissage Sixties. Pendant 10 ans, je redécouvrais cet âge d’or, âge de raison du rock et de la pop, car les deux acceptations s’entremêlaient dans une grande partouze fraternelle et sensorielle. Les années zéro furent donc pour moi la somme de toutes les décennies précédentes, ma quête du jardin originel, ces mythiques années 60 dont je cherchais maintenant l’héritage.
Et pourtant, après tant de découvertes, d’heures d’écoutes, à la fois gourmandes et patientes, je peux le dire : ce n’était pas mieux avant. Enfin, quand même. Les années soixante marquèrent l’avènement d’une Pop universelle par sa capacité à incarner la musique d’une jeunesse et par son étourdissante facilité à brasser les genres. Car l’amateur de pop music de l’époque pouvait passer sans problème des Beatles au Velvet, du MC5 à Marvin Gaye, des Temptations à John Mayall, de Incredible String Band à Black Sabbath. Tony Iommi confiait un jour que le hard rock qu’il pratiquait alors au sein du Sabbat Noir n’était qu’une autre forme de pop music. Point de segmentation ni de ciblage marketing entre 64 et 75. Chaque décennie offre un visage. Les seventies, celui du punk et de la new wave. Les eighties eux arborèrent le masque impénétrable du cynisme. Les nineties se réveillèrent brutalement avec Nirvana. Le rock est avant tout générationnel. Et les années zéro dans tout ça ? Difficile à dire. Car, si chaque période relança la machine avec un mouvement fondateur, il y eut des trublions. Ainsi en est-il du rap déboulant dans les années 80 aux States puis en France à l’orée des années 90. A la même époque, les familles électroniques posent leurs valises remplies d’ordinateur et de machineries complexes. La house explose dans les clubs, la techno s’invite sur les plages, l’électro s’affirme en Allemagne et en France, terres accueillantes pour les esprits novateurs. Les dix années que nous venons de vivre ont brouillé les pistes, mélangé les influences avec plus ou moins de bonheur : psychédélisme-mod-post-punk-disco-fluo serait un bon résumé. Comble de l’ironie, alors que les 60s sacralisaient le 33 tours et que les années 80-90 portaient le CD au firmament du marketing, le vinyle revient en force aujourd’hui avec moult rééditions. S’il est difficile, voire impossible, de définir ces 9 années de création tous azimuts par un mouvement, une formule, il fallait trouver autre chose.
Dans le vif du sujet
Les 69 albums les plus bandants de la génération youporn, ça c’est pour la formule et peut-être aussi pour la postérité. Oh et puis il y a aussi ce chiffre, 69, année érotique selon Gainsbourg, année festival et qui pourrait coller à l’esprit de notre décennie passée. Ce festival des genres, des modes, des buzz, des cures de désintox, des blogs lettrés, des réseaux sociaux et des sorties digitales. Dans ce mot, festival, il y a également cette idée de kermesse héroïque, cette grande fête païenne que fut le Rock. Mais revenons au sujet. Concernant mon classement, quelques précisions avant de le découvrir plus bas. Je ne vais pas procéder ici à une analyse critique de chaque œuvre retenue, par paresse d’abord, oui je dois bien l’avouer. Putain de bordel, vous ayant considérablement mâché le travail, j’ose espérer que vous irez écouter sur je ne sais quelle plateforme à la mode les albums qui vous sembleront inconnus. Non. J’ai préféré me concentrer sur les groupes qui ont, à mon sens, un potentiel et même un avenir. Les heureux lauréats issus de cette décennie incarnent le futur, certains ont déjà confirmé tous les pronostics. Autre parti-pris, je n’ai pas opté pour un classement qualitatif, du moins bon au meilleur des albums. Et pour des raisons évidentes de réalisme et d’honnêteté. Car quand l’on décide de faire cohabiter tous les genres, pop, rock, rap, électro, quels critères impérieux peuvent justifier de préférer un disque à un autre. Préférence. L’autre prisme par lequel j’ai voulu observer ces 9 années. Ainsi, ce classement ne se veut pas objectif, bien au contraire. La subjectivité la plus exaspérante en a été l’inspiratrice, le maître mot. Certains objecteront que tel album reste anecdotique, d’autres hurleront au scandale en voyant la Radio Tête exclue manu militari de ces 69 disques. Ben ouais, c’est comme ça. Je tiens à faire observer qu’agir comme les autres relève du mimétisme imbécile et vain. De la même manière que l’on achète du Chateaubriand afin de lire du Chateaubriand, lapalissade me direz-vous, ok je le note, ce classement se devait de me ressembler. De refléter avec une certaine vérité, doublée d’une réelle exigence, ma personnalité, mes goûts musicaux les plus profonds qui ont présidé à la construction des 34 premières années de ma vie.
Venons-en au fait. Les groupes. Les disques. Certaines découvertes furent tardives, je le concède, comme The Sophware Slump de Grandaddy. Peu importe. Il n’est jamais trop tard pour bien faire comme disait Jean Christ. D’autres albums tiennent une place importante comme A Whisper & A Sigh de Syd Matters pour avoir si brillamment accompagné de sombres moments. Au fond, la musique n’est que la bande originale de nos vies en pointillés. C’est beau comme du Johnny Hamlet Hallyday. Quand j’évoquais le choix de ne gloser que sur les formations les plus singulières, il est évident que Syd Matters en fait partie. 3 albums ont émaillé ces années zéro et quels albums ! Je les ai tous conservés sans doute par chauvinisme rampant je ne vous le cache pas. Cependant, il est juste de rappeler que Syd Matters fut l’une des premières formations à imposer une scène française solide et convaincante avec les attributs de la pop anglo-saxonne, le chant en anglais, et à accéder à une popularité, certes relative, mais significative. Avec un quatrième album en préparation, Jonathan Morali est l’un de ceux sur lesquels nous, amateurs de rock instruits, pourrons compter. Dans leurs sillons, bon nombre de formations talentueuses que je ne peux toutes citer sans y passer une plombe, ont ainsi grandi. Un peu en marge et pourtant fondamentalement actuel : Sourya. Le quatuor que je défends depuis quelque temps a eu le privilège de clore l’année 2009 et la décennie avec un premier opus virtuose. Je ne reviendrai pas sur Dawdlewalk pour l’avoir déjà fait, mais il ne faudra pas les perdre de vue. Les 10 prochaines années leur appartiennent déjà. Et si nous franchissions la Manche ? Parmi tous les groupes anglais décorés, je voulais attirer l’attention sur The Coral. En quelques albums incroyables, traduisant une courbe de progression qui ne laisserait pas insensible un trader enhardi, ce groupe s’est solidement ancré dans le paysage musical anglais. Leur dernier album, Roots & Echoes, n’en déplaisent à ces pisse-froid de Pitchfork qui notent le rock comme Parker déguste le vin, bbbrrrrrr, demeure un classique inusable, éternel, sublime. Malgré les changements de line up, il est autorisé de croire et même d’écrire qu’ils auront eux aussi à l’avenir leur mot à dire. Merde, le groupe ne vient-il pas de Liverpool !!! Embarquons pour les Etats-Unis. Là encore, et rien à voir avec l’élection d’Obama, il est permis d’espérer dans le nouveau continent. Quelques noms sont ainsi à ajouter au Hall Of Fame du rock indépendant. Commençons par mes poulains, un groupe que j’adule et qui a réussi le tour de force de réconcilier héritage sixties et modernité. Il s’agit des Shins. 3 albums ont suffi à les adouber. Leur suprématie est indéniable. Leur science de la pop aussi. Oh, Chutes Too Narrow restant pour moi une sorte de sommet, d’Everest mélodique. Ils culminent les bougres. Avec un successeur à Wincing The Night Away dans les pipes, les prochains mois s’annoncent passionnants. Autre génie de la pop aux projets aussi singuliers que farfelus, Sufjan Stevens. Avec comme ambition d’écrire un album par états et l’Amérique en compte cinquante, le bonhomme a de quoi surprendre, y compris les plus septiques d’entre nous. Et pourtant. Là encore, le talent prévaut. Illinoise, Michigan, The Avalanche, trois chefs-d’œuvre ! Et si l’on prend en considération le fait que chaque album compte pas moins d’une vingtaine de morceaux chacun, les trois deviennent rapidement six ! On comprend le potentiel de Sufjan. Oh, sans doute n’arrivera t-il pas à réaliser son fantasme pharaonique mais on imagine bien qu’il nous gratifiera dans les années à venir de quelque précieux opus à la hauteur des précédents. Sujet de mon attention toute particulière, Grizzly Bear. Cette formation n’a pas eu que le bon goût de s’installer à Brooklyn, LA scène la plus passionnante du moment, ça c’est le buzz qui le prétend ; non, ses cinq membres sont tout simplement bons. Là encore, trois disques auront permis à ces musiciens de haute volée de parfaire leur art du songwrinting et leurs techniques musicales pour élaborer en laborantins maniaques l’une des œuvres les plus étourdissantes qui soient dont Veckatimest, le dernier album, est le mirifique point d’orgue. Capable d’être aussi précis sur disque que sur scène, ce détail fait largement la différence, Grizzly Bear ne va pas construire l’avenir. Grizzly Bear EST l’avenir. Dépoussiéré de ces falbalas expérimentaux, Veckatimest brille par sa beauté ouvragée et son sacerdoce harmonique. Signe de leur supériorité évidente, cette intemporalité si caractéristique qui est peut-être l’aboutissement d’un mélange audacieux entre la facilité irritante de la pop, cette fameuse chanson de 3 minutes dont la quête a rendu fou plus d’un, et l’exigence du jazz ou, tout du moins, son aspiration naturelle pour une forme de complexité nourrie d’incessantes innovations. Grizzly Bear, c’est les Beatles des années zéro. Avec les Shins, bien sûr (j’entends certains ravaler leurs insultes). Catégorie suivante : les petits nouveaux. Ces enfants terribles qui en quelques mois et un album ont balayé nos certitudes. Qui pourrait aujourd’hui omettre de citer MGMT et Fleet Foxes. Leurs opus respectifs nous ont tous laissé groggys. Comme après un rendez-vous galant avec Mike Tyson où l’on aurait eu un (doux) mot de trop. MGMT d’abord, deux sales gosses sortant d’une improbable université dont on sait dorénavant qu’elle abrite en son sein « l’élite » de la pop américaine. Oracular Spectacular est à l’image du deuxième mot : spectaculaire. Une sorte d’accouplement sonique entre les délires visuels d’un Kubrick et la pop futuriste d’un Todd Rundgren. Pas moins que cela. Tout récemment installé à LA, nos deux trublions sont en train de nous mitonner une suite à Oracular Spectacular. Quelle tambouille en sortira ? On ose croire au chef-d’œuvre. Nous verrons bien. Quant à Fleet Foxes, même chemin emprunté par l’itinéraire du buzz menant à la consécration quasi divine. Divine est leur musique, pop baroque aux tournures folk médiévales, comme si Jordi Savall avait copulé avec Brian Wilson. Classique automatique qui appelle une suite : nos âmes de moinillons chabadabadas prient quotidiennement afin que cette prophétie se réalise. Côté cousins lointains, la tribu mormone de Arcade Fire. Eux sont plus paresseux ou soucieux de la réalisation dans le labeur acharné. Deux albums les ont fait émerger de la foule des rockeurs mais avec quelle force ! Funeral fut cette révélation. Neon Bible, une confirmation. La bande à Win Butler (Frankenstein à chapeau) et à Régine Chassagne (rien à voir avec une tenancière de boîte de nuit fan de Bourgogne) travaille en ce moment à une suite en forme de clou enfoncé. Enfin, il n’y aurait de classement délicieusement subjectif digne de ce nom sans ironie du sort. Qui incarne le mieux cette modernité de la pop que j’évoquais plus haut ? Ben, Brian Wilson. En 2004, le génie scintillant des Beach Boys a décidé de donner forme à Smile, son album maudit, jamais paru et qui devait être en 1967 la réponse ultime au Sgt. Pepper’s des Beatles. Mais Brian n’est pas homme à se faire doubler, voire oublier. Il réunit alors pléthore de musiciens sous sa direction, dont Darian Sahanaja et Van Dyke Parks, et enregistre les 17 chansons de Smiles. Le résultat est sidérant. D’une exceptionnelle clarté, le son n’en est pas moins porté par un cortège de clavecin, de cordes et de cuivres rutilants auxquels s’ajoutent les chœurs qui ont fait la marque des Beach Boys, période Pet Sounds. Smiles de Brian Wilson ou comment faire du neuf avec de l’ancien jusqu’à s’imposer comme le meilleur album de la décennie. Le Revolver des années 2000. D’où la catégorie « ironie du sort ». Trêve de palabre. Et si on en venait au classement ?
2000
Badly Drawn Boy, Hour Of Bewilderbeast
Belle & Sebastian, Fold Your Hand, You Walk Like A Peasant
Grandaddy, The Sophtware Slump
Deltron 3030, s/t
Broadcast, The Noise Made By People
2001
Shins, Oh, Inverted World
The White Stripes, De Stijl
2002
John Cunningham, Happy-Go-Unlucky
The Flaming Lips, Yoshimi Battles The Pink Robots
Interpol, Turn on the Bright Lights
2003
Syd Matters, A Whisper & A Sigh
Shins, Oh, Chutes Too Narrow
Broadcast, HaHa Sound
The Brian Jonestown Massacre, And This Is Our Music
Espers, s/t
The Fiery Furnaces, Gallowbird's Bark
The Warlocks, Phoenix
2004
One Ring Zero, As Smart As We Are
Micah P Hinson And The Gospel Of Progress
Badly Drawn Boy, One plus One Is One
The Fiery Furnaces, Blueberry Boat
The Libertines, s/t
The Dresden Dolls, s/t
Sonic Youth, Sonic Nurse
Joanna Newsom, The Milk-Eyed Mender
Brian Wilson, Smile
Blonde Redhead, Misery Is A Butterfly
Electrelane, The Power Out
Marianne Faithfull, Before the Poison
Elliott Smith, From Basement to the Hill
Gravenhusrt, Black Holes In The Sand
The Arcade Fire, Funeral
Shearwater, The Winged Life
Sufjan Stevens, Greetings from Michigan : The Great Lakes State
Dungen, Ta Der Lugnt
The Gris Gris, s/t
Comets On Fire, Blue Cathedral
2005
The Coral, The Invisible Invasion
Sufjan Stevens, Illinoise
The Decemberists, Picaresque
The Gris Gris, For The Season
The Kingsbury Manx, The Fast Rise And the Fall Of The South
Antony and The Johnsons, I Am A Bird Now
Syd Matters, Someday We Will Foresee Obstacles
2006
Grizzly Bear, Yellow House
Sufjan Stevens, The Avalanche
Sébastien Schuller, Happiness
Bonnie Prince Billy, The Letting Go
Peter Von Poehl, Going Where Tea Trees Are
2007
The Besnard Lakes, Are The Dark Horse
The Coral, Roots & Echoes
Shins, Wincing The Night Away
LCD Soundsystem, Sound Of Silver
Amy Winehouse, Back to Black
Arcade Fire, Neon Bible
Caribou, Andorra
2008
Fleet Foxes s/t
MGMT, Oracular Spectacular
Syd Matters, Ghost Days
Cocoanut Groove, Madeleine Street
Robert Wyatt & Friends In Concert (réédition)
Cold Sun, Dark Shadows (réédition)
David Bowie, Live At Santa Monica 1972 (réédition)
Dennis Wilson, Pacific Ocean Blue/Bambu (réédition)
Department Of Eagles, In Ear Park
2009
Sourya, Dawdlewalk
Grizzly Bear, Veckatimest
Flaming Lips, Embryonic
Local Natives, Gorilla Manor