La future réforme de l'instruction fait débat. Michèle Alliot-Marie tente de rassurer. Mais les critiques demeurent. Le pouvoir craint une bronca.
Gardes à vue polémiques ?
Le nombre de gardes à vue en France serait largement sous-évalué : 900 000 contre 600 000 annoncés par le ministère de l’intérieur (581 000 en novembre 2009). C’est ce que dit le journaliste Mathieu Aaron, dans un ouvrage paru mercredi. Il trouve l’origine de l’écart dans « l’oubli » des gardes à vues pour délits routiers (250 à 300 000 gardes à vue). Au-delà de la polémique sur les chiffres, le quasiment doublement des chiffres officiels depuis 2002 est stupéfiant. Le journaliste attribue cette dérive à 3 facteurs principaux. Premier facteur, la politique du chiffre (la mesure du « taux d’activité de la police »), menée par Nicolas Sarkozy, qui encourage – et rémunère sous forme de primes – les placements. Seconde explicateur, une loi d’Elisabeth Guigoux sur la présomption d’innocence, avant 2001, a renforcé les droits de la défense (accès plus rapide à un avocat, un médecin ou les proches) pendant la période de garde à vue. Conséquence involontaire, la police n’arrête que pour mettre en garde à vue, et éviter tout flou juridique susceptible de contestation. Dernier facteur, nombre de gardiens de la paix sont devenus officiers de police judiciaire, et donc habilités à placer en garde à vue.
Dans la Sarkofrance de 2010, la garde à vue est devenue, sans qu’on se l’avoue, la première peine de détention, même pour des délits mineurs, même sans preuve.
Frénésie sécuritaire... inefficace ?
Laurent Mucchielli, dans les colonnes du Monde la semaine dernière, expliquait combien la sécurité a occupé l’espace médiatico-politique depuis une dizaine d’année. Il parle volontiers de « frénésie sécuritaire », et souligne combien les différentes lois ont cassé certains principes de justice républicaine : la loi sur les bandes néglige l’individualisation des peines ; le fichage généralise le soupçon aux détriments de la présomption d’innocence ; les mineurs sont réévalués comme des majeurs. Les peines planchers et la suppression du juge d’instruction affaiblissent l’indépendance de la justice.
« La société française des années 2000 aura notamment été marquée par une véritable frénésie sécuritaire. Depuis 2002, il y a eu plus de cinquante réformes du droit pénal. L'extension du fichage de la population par la police n'a jamais cessé au point que le système de traitement des infractions constatées (STIC) - fichier qui recense les personnes impliquées dans des procédures policières, victimes et auteurs - concerne désormais un Français sur dix ! Le nombre de gardes à vue a augmenté de 72 % entre 2001 et 2008. La population carcérale a progressé de 36 % sur les sept dernières années. Le nombre de caméras de vidéosurveillance explose. Tous ces chiffres suggèrent l'instauration progressive d'une société de surveillance. Une idéologie sécuritaire qui justifie, au nom de la défense des victimes, la remise en cause de quelques-uns de nos grands principes généraux du droit, s'est mise en place. »Terra Nova reconnait la « schizophrénie » de la fonction de juge d’instruction, qui instruit à charge et à décharge les affaires qu’on lui confie. Nicolas Sarkozy s’est engouffré dans cette brèche. Mais sa réforme ne prévoit pas de rendre le parquet indépendant pour autant. On comprend aisément l’intérêt du pouvoir de récupérer le contrôle intégral des instructions, après avoir, au fil des années, déposséder les juges d’instruction d’un nombre croissant d’affaires. La Cour Européenne des Droits de l’Homme avait d’ailleurs rappelé, en juillet 2008, que le procureur ne peut, en France, être qualifié d'autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle car « il lui manque en particulier l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif ».
Jeudi 14 janvier, François Fillon s’est essayé à rassurer la profession judiciaire. Des mots, toujours pas suivis d’actes. « Ni l'indépendance de la magistrature, ni la manière dont la France a historiquement organisé la séparation des pouvoirs ne seront remises en cause par la réforme ». Le premier ministre justifie curieusement son propos par le faible nombre d’affaires (5% du total) actuellement traitées par les juges d’instruction : « Est-ce à dire que dans 95 % des cas l'on ait affaire à une justice qui ne soit pas indépendante? » Fillon oublie de préciser que ces 5% recouvrent souvent les affaires les plus sensibles… Il explique aussi que « le parquet ne sera pas le seul acteur de l'investigation, a dit le chef du gouvernement. Le nouvel équilibre impliquera des pouvoirs et des contre-pouvoirs. Et comme le juge d'instruction, le juge de l'enquête et des libertés sera un magistrat du siège. »
Les magistrats se rebiffent
La France sécuritaire a mal à sa justice. Le paradoxe est que ses résultats restent médiocres, incapable qu’elle est à prendre en compte la prévention dans son discours et ses actes. La faiblesse des moyens de la justice reste patente. En Ile-de-France, des policiers ont refusé de procéder à des interpellations requises par des juges, au motif que ces derniers exigeaient la présence des avocats des prévenus lors des gardes à vue. Un comble ! Il y a quelques années, Nicolas Sarkozy n'avait pas de mots assez durs pour fustiger les juges "laxistes" et "complaisants" qui relâchaient les délinquants arrêtés par la police. La roue aurait-elle tourné ? Ce sont des policiers qui refusent désormais d'intervenir. Les magistrats ont écrit au directeur de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris, Christian Flaesch.
Dans leur courrier, les magistrats rappellent que le code de procédure pénale dispose que "les officiers de police judiciaire (...) ne peuvent solliciter ou recevoir des ordres ou instructions que de l'autorité judiciaire dont ils dépendent". Les cas de refus de collaboration entre police judiciaire et magistrats sont extrêmement rares. Ils ont toujours visé des affaires sensibles comme le refus de perquisitionner chez l'ancien maire de Paris, Jean Tibéri, à la demande du juge Eric Halphen, en 1996 ou l'affaire Borrel, en 2007, quand la gendarmerie n'avait pas voulu perquisitionné des ministères.Discrètement, Nicolas Sarkozy a trouvé un remplaçant à Patrick Ouart, son conseiller justice parti voici quelques semaines. Ce sera Jean-Pierre Picca, le procureur de la République de Lorient, dont la nomination devrait être officialisée lundi 18 janvier. C’est un proche de Jean-Daniel Levitte, le Sherpa de Sarkozy, qu’il a connu à Washington entre 2005 et 2007.
La contre rentrée du monde judiciaire
par politistution