Après trois années de captivité au Liban, Jean Paul Kauffmann cherche une maison à la campagne, pour accompagner son retour à la lumière, au monde. Il pense à l'Aquitaine, c'est sûr, au Bordelais, c'est presque certain... et puis finalement, à force de recherches infructueuses, ce sera la Haute Lande, la forêt odorante et paisible de Mauriac, qui lui offrira un futur possible.
J'ai beaucoup aimé la façon dont l'auteur analyse son parcours. Il est sincère , et lucide.
Pour lui, il y a clairement un avant et un après traumatisme. Sa volonté est que cet après soit autre que l'avant. C'est clair, il est hors de question de reprendre la suite de l'avant là où il l'avait laissé. Il doit faire autrement. Et c'est compliqué.
Sa blessure profonde l'a métamorphosé. Il est encore dans le temps de l'entre deux. Plus dans l'avant, sorti d'affaire, changé, mais à reconstruire. Il aime cet espace là, il veut le faire durer, le savourer, avant d'aborder vraiment un après qu'il souhaite encore entrevoir indéfini.
J'ai aimé la description minutieuse de cette recherche diffuse et non méthodique d'un "soi" qui semble encore incertain. Appelant tous ses sens à la rescousse, il est "à la nature", pour être mieux à l'écoute de la sienne.
Il y a de vrais beaux passages qui parlent de ce cheminement. La poésie qui se dégage de ses errements en forme de recherche intérieure est profonde. La maison et sa rénovation y tiennent une bonne place, mais aussi la forêt, les livres, le vin, le cigare, l'architecte et les maçons, et puis, bien sûr, l'airial et ses arbres, les voisins, l'art de vivre landais et le savoir vivre des gens du quartier...
Alors qu'il aborde une période de sa vie difficile, cet " entre deux" qu'il fait durer, Jean Paul Kauffmann, sans le vouloir, nous donne comme des leçons de vie.
Lui même en reconstruction, (Il parle même d'une seconde naissance), il savoure la métaphore de la rénovation de sa maison. Grâce à ses choix qui semblent ne pas en être, à son architecte, et à ses deux maçons, sa maison va entrer dans un nouveau cycle de vie, qu'il espère pouvoir habiter. Il n'en est pas sûr. Ces choses là sont compliquées.
Ce livre nous relate l'alchimie d'une rencontre entre un lieu, une maison, et un homme qui a subit un grave traumatisme, un rescapé qui revient doucement à la vie...
En nous racontant ce retour, il nous fait entrevoir une certaine sagesse qui s'installe doucement, un apaisement , une sérénité trouvée dans l'attention portée aux moments de bonheurs et de plaisirs que la vie peut nous réserver.
Il y a de très beaux passages sur les rapports à la lecture, le cycle des saisons, le jardinage.
En chemin, l'amour des livres semble s'être éclipsé derrière l'amour des arbres.
Ce livre est un hymne à la nature, mais j'ai été particulièrement sensible à la manière dont il parle des arbres.
Le pin y a une bonne place, mais nous y est décrit surtout en référence à la vénération mauriacienne. le Tilleul a la part belle, et j'ai trouvé que les plus beaux passages étaient ceux dédiés aux platanes.
Bernard Pivot en parle , pour la Librairie Mollat
Il y a aussi de jolis billets chez Convolvulus, et chez carnets de volovent .
Les pins et la forêt des Landes
"J'aime de plus en plus cette forêt qui s'étend à perte de vue. J'y retrouve la trace de mes lectures de jeunesse, "Le Mystère Frontenac", "Thérèse Desqueyroux" : la plainte des pins, les métairies du bout du monde, l'odeur de la résine et de l'incendie qui pousse Thérèse à accomplir son acte criminel"...
..."Dans le calme du soir, les grands pins noirs renvoient vers la maison une odeur profonde de sous-bois. Une odeur qui souligne un silence duveteux et régalant. Le contraire du vide, du manque. Un silence vivant, balsamique..."
..." Le pin est l'arbre de l'élévation et du dépassement. Une forme de transcendance obtenue non pas par la rectitude mais par la courbure. Sa fausse verticalité maintient en suspension le paysage. Son balancement n'appuie pas sur le surface plane."
Les platanes
"Je suis assis face aux deux platanes monumentaux. Lapouyade m'a assuré qu'ils sont âgés d'au moins cent cinquante ans. Jamais élaguée, dégagée de toute entrave, leur ramure s'est déployée impétueusement vers le ciel. Les branches à la cime ont fini par s'emmêle. Couturé par le temps, le tronc des arbres se desquame par plaques, laissant apparaître l'épiderme jaune. Par endroits, il ondule comme le pli de la peau. Plus que jamais, les deux piliers ressemblent à deux pattes d'éléphants, la base avec les racines dévidées en évantail imitant parfaitement la semelle garnie d'ongles. Dépouillés de leurs feuilles, les deux platanes n'en dégagent pas moins une puissance prodigieuse. Ils se tiennent en sentinelle devant la maison. Mes deux compagnons devinent la période de convalescence que je vis. Avec bienveillance, ils me regardent reprendre des forces. Ils me considèrent comme un être normal, non comme un égrotant qui ne pourra jamais se remettre du mal qui l'a frappé..."
..."Les deux platanes, qui avec leur ramure tourmentée, ont toujours l'air d'élever une protestation vers le ciel semblent apaisés. D'ordinaire, les branches tortueuses sur lesquelles ont commence à apercevoir le tracé encore léger du feuillage se chamaillent entre elles. Une façon retorse de porter haut, de se redresser avec agressivité, qui signale une nature mécontente et contrariée. On ne se fait pas faute de corriger ces arbres insupportables. Un bon platane en France est un platane amoché. C'est par amputation qu'on vient à bout d'un tempérament jugé agressif. On le rosse, on lui démolit le portrait, on l'estropie, mais notre grand mutilé tient le coup. Inutile de dire que les rescapés se rattrapent. Les miens partent dans tous les sens, mais j'ai l'illusion de croire que je les ai apprivoisés. En tous cas, j'ai trouvé auprès d'eux repos et consolation... "
..."Longues journées de lecture à l'ombre des deux platanes. Je sens leur présence bienveillante, commençant à saisir la musique secrète des feuilles qui viennent de se dégager des bourgeons. Sous la frondaison, je guette les silences, la cadence, les motifs, les gammes de tons. Chaque platane possède son chant propre et son rythme. La brise peut murmurer au sommet de l'un et ignorer l'autre"......"Parfois une clarté imprévue anime violemment leur âme végétative. Les branches se soulèvent, le houppier se torsade. On dirait que les deux platanes veulent extérioriser quelque chose. Mais quoi ? Les membres brassent l'air. Il y a une impuissance pathétique dans cette convulsion désespérée. On y est, me dis je, un évènement se prépare. L'un d'eux balbutie; c'est sûr, il veut échanger..."
Les chênes "Chaque fois que Mauriac quittait sa maison de Saint Symphorien, il prenait soin d'embrasser un chêne du parc, toujours le même. L'auteur de Thérèse Desqueyroux, qui a passé son enfance tout près des "Tilleuls", évoque ce rite dans son oeuvre. "J' appuyai la joue contre le chêne adoré, puis, longuement, mes lèvres", confie-t-il dans un de ces ultimes romans, "Un adolescent d'autrefois". Ce geste m'a toujours bouleversé. Il existe une photo où l'on voit l'écrivain coiffé d'un béret landais, le visage collé contre l'arbre adoré."
Le lilas
"On m'a demandé de choisir un arbre pour le planter symboliquement devant la mairie. Je crois avoir déçu mes concitoyens en optant pour le lilas, trop modeste et trop répandu. Je tenais aussi au sous- entendu persan, trouvant plaisant ce pied de nez à mes "amis", mais je n'en ai parlé à personne. Répandu, mais si rare. Il défleuri au bout de trois semaines. Néanmoins ce temps éphémère exprime l'âme du printemps, sa qualité la plus pure, son moment le plus précieux. A peine les narines ont elles capté son parfum qu'il s'évanouit pour embaumer violemment l'instant d'après."
Les tilleuls
....Dans "la chair et le sang", Mauriac parle des tilleuls qui" sentent l'ardeur et l'amour."Si le pin peut être chez lui qualifié d'arbre totem, le tilleul est son arbre- passion. Dans le "Noeud de vipère" il est associé au désir, à la lune de miel des héros. Il y a dans le tilleul une quiétude sensuelle qui serait presque repue s'il ne subsistait cette façon délurée de s'agiter."...
..."En fusion avec les abeilles, les fleurs des tilleuls dégagent une telle énergie qu'elles refoulent dans l'atmosphère de puissants effluves pommadés, à la limite de l'écoeurement. C'est une odeur émolliente et insinuante comme un narcotique, provoquant même à la longue un certain degré de stupeur et d'insensibilité, en cela plus proche d'un opiacé que d'une tisane."
Voilà, vous aurez compris que j'ai été particulièrement sensible à la manière dont Jean Paul Kauffmann parle de sa "présence" aux arbres. J'ai sans doute été un peu longue, mais j'avais envie de garder une trace de ces citations, et mon blog me sert à ça aussi... Pour conclure, encore une citation de ce texte, qui exprime une perte, celle de l'appétence pour la lecture, qui semble s'être mutée en passion pour la plantation..."Ce goût profond pour la lecture qui était aussi une névrose s'est déplacé ailleurs. A présent je plante des arbres avec le fanatisme que je manifestais autrefois pour les livres. Mes proches s'inquiètent de cette nouvelle toquade. Ce déplacement de l'oeuvre écrite vers les végétaux n'est apparemment pas de même nature. A moins que je ne recherche dans les arbres la "présence" perdue. Devant mon airial, j'éprouve le même plaisir qu'autrefois devant ma bibliothèque."Ajoutons juste que durant cette "retirade" aux tilleuls, le besoin d'écrire s'est fait impérieux chez l'auteur, et qu'il est devenu écrivant et ainsi aussi, sans aucun doute, écrivain.En cliquant sur les photos, vous vous retrouverez sur les sites et les blogs où je les ai trouvées.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 17 avril à 21:50
Merci, Jean Paul, pour ce livre qui m'a fait rêver. Moi aussi, j'adore les arbres et les Landes.