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Schuon et la philosophie : 1

Publié le 27 janvier 2010 par Joseleroy

Sans partager toutes les analyses de Schuon, je trouve sa critique de la philosophie moderne interessante :

-la philosophie moderne ne connait plus l'intuition intellectuelle
-elle recherche l'originalité au lieu de la vérité
-elle met en avant le doute au lieu de la certitude

schuon

"Il faudrait pouvoir restituer au mot « philosophie » sa signification originelle : la philosophie —1'« amour de la sagesse » — est la science de tous les principes fondamen­taux ; cette science opère avec l'intuition, qui « perçoit », et non avec la seule raison, qui « conclut ». Subjectivement parlant, l'essence de la philosophie est la certitude ; pour les modernes au contraire, l'essence de la philosophie est le doute : le philosophe est censé raisonner sans aucune prémisse, comme si cette condition n'était pas elle-même une idée préconçue ; c'est la contradiction classique de tout relativisme. On doute de tout, sauf du doute ( Pour Kant, l'intuition intellectuelle — dont il ne comprend pas le premier mot — est une manipulation frauduleuse (Erschleichung), ce qui jette un discrédit moral sur toute intellectualité authentique.)

La solution du problème de la connaissance — si pro­blème il y a — ne saurait être ce suicide intellectuel qu'est la promotion du doute ; c'est au contraire le recours à une source de certitude qui transcende le mécanisme mental, et cette source — la seule qui soit — est le pur Intellect, ou l'Intelligence en soi. Le soi-disant « siècle des lumières » n'en soupçonnait pas l'existence ; tout ce que l'Intellect pouvait offrir — de Pythagore jusqu'aux scolastiques — n'était pour les encyclopédistes que dogmatisme naïf, voire « obscurantisme ». Fort paradoxalement, le culte de la raison a fini dans cet infra-rationalisme — ou dans cet « ésotérisme de la sottise » — qu'est l'existentialisme sous toutes ses formes ; c'est remplacer illusoirement l'in­telligence par de l'« existence ».
D'aucuns ont cru pouvoir remplacer la prémisse de la pensée par cet élément arbitraire, empirique et tout subjectif qu'est la « personnalité » du penseur, ce qui est la destruction même de la notion de vérité ; autant renoncer à toute philosophie. Plus la pensée veut être « concrète », plus elle est perverse ; cela a commencé avec l'empi­risme, premier pas vers le démantèlement de l'esprit ; on cherche l'originalité, et périsse la vérité.
Ce sont les sophistes, Protagoras en tête, qui sont les véritables précurseurs de la pensée moderne ; ce sont eux les « penseurs » proprement dits, en ce sens qu'ils se bornaient à ratiociner et ne se souciaient guère de « percevoir » et de rendre compte de ce qui « est ». Et c'est à tort qu'on a vu en Socrate, Platon et Aristote les pères du rationalisme, voire de la pensée moderne en général ; sans doute, ils raisonnent — Shankara et Râmânuja en font autant — mais ils n'ont jamais dit que le raisonne­ment est l'alpha et l'oméga de l'intelligence et de la vérité, ni à fortiori que nos expériences ou nos goûts déterminent la pensée et priment l'intuition intellectuelle et la logique.
Somme toute, la philosophie moderne est la codification d'une infirmité acquise."

F. Schuon : La transfiguration de l'homme. Site sur Schuon


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