C’est une petite révolution dans le monde des chromosomes sexuels. Alors que l’on croyait que le chromosome Y était un chromosome dégénéré qui pourrissait quasiment à vue d’œil, voici que l’on vient d’observer que celui-ci évolue beaucoup plus rapidement que ce que l’on pensait.
Petites explications.
Tout d’abord, les chromosomes sexuels. Ce ne sont pas des chromosomes dépravés mais la paire de chromosomes qui détermine le sexe de l’individu : XX pour les femmes, XY pour les hommes (c’est inversé chez le poulet: ZZ pour le coq et ZW pour la poule). Ces chromosomes déterminent le sexe car ils portent les gènes de différenciation, ceux qui vont être responsables de tout ce qui est différent entre un garçon et une fille.
Une autre caractéristique de cette paire de chromosomes est la quasi absence de recombinaison entre les deux, d’échange de matériel génétique entre les deux. Tous les chromosomes des paires non-sexuelles (les autosomes) échangent du matériel génétique lors de la formation des cellules sexuelles (la méiose), échange nécessaire pour assurer la bonne formation desdites cellules. Or, si une paire de X recombine quasiment normalement, un X et un Y ne recombinent quasiment pas, uniquement dans une petite région (appelée région pseudo-autosomale). Or l’échange de matériel génétique est très bénéfique car il permet de brasser différents allèles de gènes pour créer de nouvelles combinaisons, ce qui permet à la sélection naturelle d’être plus efficace. L’absence de recombinaison cause une dégénérescence des régions concernées : elles accumulent des mutations qui ne peuvent pas être réparées ou éliminées. On pensait donc que le chromosome Y des primates était assez dégénéré et n’évoluait plus beaucoup.
C’est le séquençage très récent du chromosome Y qui a rendu possible une comparaison avec le chromosome Y humain. Ce séquençage a été très laborieux car ce chromosome comprend en majorité des séquences répétées, très difficiles à séquencer par les techniques habituelles. Cette comparaison a révélé quelques surprises de taille. Alors que la séquence des autosomes humain et du chimpanzé diffèrent de quelques %, entre 30 et 50 % du chromosome Y diffèrent. C’est énorme. Le chromosome Y évolue donc beaucoup plus rapidement que le reste du génome.
Qu’est-ce qui a pu causer cette évolution ultra-rapide ? Le sexe, selon les auteurs de l’étude publiée dans Nature, plus précisément les habitudes sexuelles des femelles chimpanzé et des premiers hommes (pense-t-on). Une femelle chimpanzé se reproduit avec un grand nombre de mâles pendant ses chaleurs. Du sperme de beaucoup de mâles va donc se retrouver en compétition directe pour la fécondation, ce qui va causer une très grande pression de sélection pour celui-ci : le sperme, qui a un léger avantage sur son concurrent va transmettre son matériel génétique plus souvent. Les gènes codants pour le sperme sont situés (quelle surprise !) sur le chromosome Y, celui-ci va donc évoluer très rapidement.
L’absence de recombinaison dans tout ça ? Elle va exacerber le processus. Avec de la recombinaison, on va voir un brassage des allèles et les combinaisons les plus favorables vont être sélectionnées. Seuls les gènes du sperme vont évoluer rapidement. Ici, point de brassage, c’est tout ou rien. Les allèles les plus favorables vont emporter avec eux le chromosome Y en entier. Celui-ci en entier va donc évoluer très rapidement, ce qui permet d’expliquer la grande divergence entre le chromosome humain et celui du chimpanzé.
Il est important de noter que les conséquences pour le chromosome et pour l’organisme ne sont pas forcément bénéfiques. Imaginez sur le chromosome Y une mutation désavantageuse pour l’organisme se retrouvant à coté d’un allèle bénéfique pour le sperme. Cet allèle va être transmis, entraînant avec lui la mutation désavantageuse, et c’est l’organisme va en pâtir. Ce qui est bénéfique pour le sperme ne le sera pas pour l’organisme.
En tout cas, cela montre que les hommes ne sont pas aussi dégénérés que l’on croyait.
Hughes et al. Chimpanzee and human Y chromosomes are remarkably divergent in structure and gene content. Nature (2010) pp.