La neige recouvre tout et est l'obsession du roman. C'est le motif central et omniprésent du texte, et il tente de figurer l'état d'esprit d'un homme pris entre l'orient et l'occident, essayant de comprendre et de communiquer avec des gens qui habitent un lieu qui devient presque irréel.
Le narrateur, Orhan Pamuk sans doute, retrace le dernier voyage de Ka, poète exilé en Allemagne qui revient au pays pour enquêter sur les élections municipales, et percer le mystère des suicides de jeunes filles qui se rebellent en portant le voile ou en se donnant la mort. A moins que ce ne soit tout simplement pour revoir Ipek dont il est éperdument amoureux et qu'il veut amener en Allemagne .
Ce bout du monde coupé de la civilisation par la neige pendant trois jours devient surréel, et pourtant, nous savons bien que c'est vraisemblablement une réalité de la Turquie qui nous est donnée à voir là, dans sa complexité qui nous semble absurde.
Les idéaux des uns et des autres nous sont exposés avec force, des nationalistes laïques aux islamistes radicaux, en passant par ceux qui doutent, les modérés, qui semblent ne pas pouvoir se faire entendre, et ne jamais être compris.
Ka est confronté à l'isolement, la pauvreté, la violence. Il se laisse porter au gré de ses rencontres, essayant de comprendre ce qui anime cette violence sauvage et de décrire la souffrance engendrée : les suicides des jeunes filles qui se voilent , les violences sanglantes qui fauchent les jeunes gens dans la fleur de l'âge, tout cela dans le silence pesant d'une ville qui semble s'être habituée à tout ce malheur comme à une fatalité inéluctable.
La résignation de la majorité silencieuse est aussi déprimante que l'exaltation de certains activistes de tous bords est irritante.
Tout devient absurde. Nous sommes devant des gens qui tournent le dos à la vie, inexorablement.
Chaque fois que j'abandonnais ma lecture, je ne savais pas si j'allais la reprendre. Pourtant, j'y suis toujours revenue, jusqu'à terminer le livre... Pourquoi ?
Le suspense mené en forme d'énigme jusqu'au bout ? Le mystère entretenu par la forme étrange et compliquée du roman ? L'envoûtement que procure finalement le style lent et obsédant de cette écriture si particulière ? La volonté de percer le mystère de cette forme, motif qui semble structurer le récit sans que je n'ai vraiment réussi à comprendre comment : schéma d'un flocon de neige , dont le centre est" un lieu d'où Dieu est absent", et dont les branches sont les poèmes d'un égaré en quête d'amour et d'identité incertaine et qu'on ne lira jamais ?... Je n'ai pas les clés pour venir à bout de ce livre que l'on peut qualifier de foisonnant.
Le héros s'appelle Ka, le livre Kar et la ville Kars, en français kar se dit neige.
En exergue de son roman, Orhan Pamuk a placé une citation de Stendahl, concernant la Chartreuse de Parme :
"La politique dans une oeuvre littéraire, c'est un coup de pistolet au milieu d'un concert, quelque chose de grossier et auquel pourtant il n'est pas possible de refuser son attention. Nous allons parler de fort vilaines choses"
Orhan Pamuk écrit un livre qui fait résonner cette phrase, il nous englue dans la neige,dans les méandres du doute de Ka et du narrateur, faisant surgir la violence à chaque coin de rue, de foyer, jusque dans le théâtre...Cette violence semble être le piteux résultat d'une quête de sens avortée de protagonistes prisonniers d'un pays, d'une condition, d'une idéologie, qu'elle quelle soit. Ce pessimisme est extrêmement pesant, mais absolument bien rendu.
Pour conclure, que dire ? C'est un livre difficile à conseiller parce qu'il est compliqué, dans la forme et dans le fonds. Son auteur est courageux et est attaqué pour sa liberté de parole par les islamistes et les militaires. Il est au centre d'une violente polémique en Turquie. A l'heure des résultats des élections , et en échos aux débats engendrés par l'entrée ou non de ce pays dans la communauté européenne, c'est sans doute un livre à mettre en avant.
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