Lumbini, Népal.
Une dernière partie de football avec les élèves de Shamrock School et nous faisons nos sacs pour la cent cinquantième fois. Rendez-vous à Delhi oblige. Le trajet depuis Pokhara nous prendra - si tout va bien - autour de 26 heures de bus et de train. C'est pourquoi nous coupons le trajet en deux, ici même, à Lumbini, à 1h30 (25 kilomètres) de la frontière indienne.
Lumbini est une bourgade de bord de route classique du Teraï (ni plus ni moins le prolongement de l'Inde sur la partie non montagneuse du Népal). C'est le scénario typique d'un bord de rue habité: bordélique, sale et laid.
La poussière des véhicules pourris qui klaxonnent tapisse les plantes, les maisons et (ce qu'ils semblent ignorer) la bouffe exposée à l'air. Si votre samosa goûte le sable, les déchets ou la chèvre morte, vous connaissez la cause.
Les gens ne semblent plus laver leur linge. De toute façon, à quoi bon se laver lorsque son quotidien ressemble à un vieux dessous de tapis.
Le ciel est gris. Les couleurs sont brunes. Les gens s'entourent de ce qu'ils peuvent autour de la tête en guise de tuque. L'hiver déprime la ville. L'humidité est impolie. Le froid grossier transperce les vêtements et les couvertures de la chambre.
Bizzzzz
Splaaff!
Un de moins.
Sur le mur blanc, en se concentrant, on les distingue peu à peu. Des petits points gris monotones. Un, deux, dix… vingt, cinquante? J'arrête, ils sont trop nombreux. Nous ne sommes pas de taille.
Enlève le cadre déteint. Tends la corde du clou jusqu'au rideau. Fais un nœud.
Une autre nuit sous le filet. Semblerait-il que les moustiques sont rentrés pour hiberner…
Vaut mieux sortir un peu. Allons manger un morceau.
Les samosas exposés à la pollution routière ne nous inspirent guère. On décide de prendre un thé. On entre dans le restaurant sombre. Que des hommes, c'est mauvais signe. On jette un coup d'œil sur la casserole de lait (ce qui deviendra notre thé). La croûte autour de la bordure et les tâches calcinées jamais lavées nous font faire demi-tour.
Nous continuons notre recherche. Il faut bien souper.
On trouve finalement un établissement (une cabane en bois) relativement inspirant. Une famille de locaux entre au même moment. Cela nous indique que les risques d'être malade sont assez faibles. Nous prenons place.
Pas de menu.
« - Namaste, que voulez-vous ?
- Qu'avez-vous ?
- De la nourriture népalaise. (air bête) »
De la nourriture népalaise. D’accord.
Comme nous n'avons pas envie de nouilles huileuses et trop salées (chowmein) ou de momos (raviolis de légumes/viande souvent nappés d'une sauce qui fait pleurer), on décide d'y aller pour un classique : le daal bhaat.
C'est le repas populaire. Une grande partie des Népalais (les pauvres) survivent avec un plat en début d'avant-midi et un autre en début de soirée et n'auront probablement jamais goûté à autre chose.
Ce repas entre dans la catégorie des plats locaux dits combustibles plutôt que plaisir culinaire. Il se rapproche assez bien du « arroz con frigoles » d'Amérique centrale.
Daal signifie lentilles et bhaat veut dire riz. Il est normalement constitué, en plus d'une portion de riz et d'une soupe de lentilles, d'un curry de légumes et d'une marinade (parfois même d'une salade, d'un craquelin, d'un curry d'œuf ou de viande, de yogourt nature ou autres). C'est le seul repas que je connais dont le deuxième service est universellement gratuit.
Le daal bhat est de ces plats qui ne sont jamais pareils. Un bon daal bhaat est succulent, un mauvais, lui, est…
Nous sommes donc assis sur la table d'un restaurant de Lumbini. Les clients d'en face descendent une bouteille de brandy en le mélangeant à de l'eau chaude. Les clients de gauche font de même.
Le daal bhaat arrive. Le riz est fidèle à sa définition. La soupe de lentille est liquide et trop salée, à se demander s'il y a des lentilles dedans. C’est servi avec un curry de pelures. En bonus, des épinards sautés qui goûtent la vieille mauvaise herbe, probablement cueillis sur le bord de la route. Faire passer le goût avec la marinade ? Êtes-vous fous! La face crispe tellement que ça goûte ce que ça sent. Qu'est-ce qu'ils ont fait mariner ? Et combien de temps !?
***
Anita (l’expatriée du bus vers Katmandu) nous avait conseillé Lumbini, comme l'avait fait un autre voyageur, plein d'entrain : « c'est vraiment beau… »
Alors, pourquoi aller à Lumbini ?
On se loue deux vélos à l'image de la ville. Les roues sont fausses, les pédales grincent, les bancs sont durs, et les freins... quels freins? Sur nos bolides (bruit de sonnette), nous roulons vers l'explication de notre arrêt ici. Les gens viennent de partout. Des pèlerins de par le monde franchissent la grande porte.
On débarque des vélos. On enlève nos chaussures. On fait quelques pas dans la bâtisse rectangulaire.
Et puis là, ça y est, je vois !
« - Regarde Nad !!! C'est LÀ que Bouddha est né!
- Ah. »
-Will.