La mission parlementaire sur le voile intégral vient de rendre son rapport et fait 18 propositions. En gros elle propose une riposte graduée et fractionnée, une stratégie alliant les frappes chirurgicales et les mines anti-personnelles.
Pour commencer le vote d’une résolution parlementaire, une sorte de déclaration de principe, « un rappel solennel à la loi ou aux principes républicains de la part des députés, mais qui n’a pas de pouvoir contraignant. » Ça ne coute rien. Mais seul ça ne sert à rien. Cela pourrait même être pris pour un aveu de faiblesse, une rodomontade de coq…
Ensuite le vote d’une loi pour interdire « de dissimuler son visage dans les services publics » qui obligerait les femmes en question à se dévoiler et à rester ainsi durant leur présence dans les locaux du service public. Sinon elles se verraient opposer un refus de service. Cette disposition pourrait être étendue à tous les lieux accueillant le public. Pas d’interdiction générale pour l’instant. L’arme de destruction massive, ce sera pour plus tard.
Objectif : éviter la non constitutionnalité, éviter que tout retoquage soit interprété comme une victoire par le camp adverse et « rendre la vie impossible » aux femmes voilées « pour endiguer le phénomène ». C’est exactement ça, endiguer. Containment diraient nos amis anglais. Ou faire chier les chieurs… c’est une technique amusante par son coté boomerang. Cela permettra en tous cas d’éviter les plaintes auprès de la Halde… C’est déjà ça.
Car une loi quelle qu’elle soit ne va pas d’un coup faire disparaitre le phénomène. D’autant que les difficultés juridiques existent et qu’il ne faut pas rater sa cible. Il ne s’agit pas non plus de s’attaquer aux consciences ou à la liberté d’opinion comme on peut le lire ici ou là. C’est d’ailleurs impossible, sauf à créer des camps de redressement, car avec ou sans voile les intégristes restent des intégristes. Non, le but d’une loi, c’est de marquer une limite, de dire jusqu’où on ne peut pas aller… Car, faut-il encore le rappeler, le voile intégral n’est pas un vêtement anodin mais l’étendard d’un sectarisme religieux, le symbole d’une soumission à un système patriarcal et d’une inégalité homme-femme, incompatible avec nos valeurs.
Peu importe que cela soit ou non une injonction de l’islam, ce n’est pas notre problème. Beaucoup de personnes se réfugient derrière le fait que des imams ou des théologiens de l’islam condamnent le voile intégral pour le faire aussi. Parce que si les imams étaient tous en faveur du voile intégral, il faudrait l’accepter ? D’autres, de fait dans la même posture, refusent de faire quoi que ce soit pour ne pas « stigmatiser » l’islam ou les musulmans. Alors que c’est l’inverse : ce sont ces femmes voilées qui stigmatisent l’islam.
De même, le fait que certaines femmes le portent librement n’a pas à entrer en ligne de compte. Le fait que quelqu’un fasse quelque chose en toute liberté n’en garantit pas la valeur morale. Et on n’a pas à sonder les coeurs et les cerveaux, ni vérifier la liberté des intentions, si tant est que cela soit possible. Un article paru sur Rue 89 critique la mission pour n’avoir pas entendu de femmes voilées et présente des vidéos du site Oumma.com qui leur donnent la parole. Pourquoi pas. Ecouter permet souvent aussi de mesurer l’étendue des dégâts… Ceci dit, a-t-on écouté les adeptes des sectes quand il s’est agit d’adopter des lois contre ces mouvements ? A-t-on tenu compte du fait qu’ils étaient heureux ainsi ?
On en revient toujours à un choix de valeurs et à ce que l’on est prêt à faire pour les défendre. Certains, surtout à droite, critiquent cette « demi-loi ». Certes, mais le phénomène étant nouveau on peut procéder par étapes. D’autres, à gauche ne veulent pas d’une « loi de circonstance ». Les députés PS ont d’ailleurs refusé de voter le rapport, au motif que cela avait été « pollué par le débat sur l’identité nationale ». Il a bon dos le débat sur l’identité nationale. Cela a valu au PS une petite manif de Ni Putes Ni Soumises, manif qui a provoqué un procès d’intention de la part de Benoit Hamon : «Sauf à ce que cette association, ne soit que l’instrument du pouvoir politique, notamment à la veille des élections régionales, a ajouté Benoît Hamon, rappelant que Ni Pute ni Soumises a été fondée par Fadela Amara, secrétaire d’Etat à la politique de la Ville.» C’est minable. Suivrait-il les traces d’un Vincent Peillon ?
En cette période électorale, l’argument de l’instrumentalisation est d’ailleurs souvent employé à gauche. Le coté pendant qu’on parle de ça, on ne discute pas du reste. Quel reste : le chômage, les délocalisations, le salaire de Proglio, les violences faites au femmes, le réchauffement climatique, la déforestation, les paradis fiscaux, Sarkozy, Haïti ?
Comme si les sujets de société occultaient les sujets sérieux sous-entendu économiques, comme si la résolution des problèmes économiques allait régler de fait les problèmes de société, comme si on ne pouvait pas parler de plusieurs sujets en même temps, comme si il y avait des sujets conseillés par les fervents défenseurs de la liberté d’expression…
Ce genre d’injonction subliminale a le don de m’agacer. Tiens je vais boire un verre de lait pour aider la filière…