Pourtant, c’est ce qui se produit ici : l’annihilation du narrateur. Par là, j’entends dissolution de la conscience de soi, équivalente à la mort physique, sans que le corps n’ait perdu sa vitalité. Étonnant, non ? Yoko OGAWA crée dans Cristallisation Secrète un univers qu’il délite au fur et à mesure. Le décor est planté sur une île, où les objets disparaissent. Plus exactement, ils cessent d’avoir un sens pour les habitants, qui procèdent alors à leur destruction. Exit les ferries, le parfum, les romans. Ceci sous le contrôle vigilant de la police secrète, chargée de veiller au respect de l’ordre du monde.
Tous les habitants de l’île ne sont pas touchés par le phénomène. Certains à la mémoire récalcitrante conservent le souvenir des objets disparus et la police les traque sans relâche, tandis que le rythme des disparitions s’intensifie. Les animaux sont aussi frappés d’anéantissement dans les esprits, puis ce sont des parties du corps humain qui sombrent dans l’oubli. La narratrice est elle aussi touchée par ce phénomène et perd peu à peu conscience de la réalité de son corps, tandis que l’ami qu’elle cache tente désespérément de lui rendre le souvenir.
Finalement, c’est une leçon d’histoire, dans la pure tradition des utopies d’Orwell, Ray Bradbury et Aldous Huxley que Yoko OGAWA nous donne, quoiqu’avec davantage de délicatesse et de tendresse.