Samedi, on a discrètement commencé à enterrer la République du coup d’État permanent à la Bellevilloise. Les auteurs du crime ? Les animateurs du Rassemblement social, écologique et démocrate, qui continuent de travailler à tisser des convergences à gauche et « chez les progressistes », comme on dit pudiquement pour qualifier les centristes du MoDem. Après un premier chapitre mouvementé consacré à l’école, qui a accouché de premières (pro)positions communes, il s’agissait ce week-end de s’attaquer à la question de la « nouvelle République », via un événement à voilure réduite, régionales obligent.
Du coup, moins de tables rondes, plus courtes donc plus denses. J’ai pour ma part assisté à celle consacrée à « L’équilibre institutionnel ou les fondements de la République », abordant les problématiques constitutionnelles et d’organisation de la justice. Les analyses et les propositions, remarquablement convergentes, pointaient toutes vers un même constat : l’Etat et l’équilibre des pouvoirs issus de la constitution de la Vème République est obsolète vis-à-vis de la situation présente, et ses vices sont poussés à l’extrême par la pratique sarkozyenne du pouvoir et des institutions. Précaution/précision initiale reprise par plusieurs orateurs, Jean-Pierre Mignard en tête : ces questions de démocratie et de justice ne sont pas des gadgets ou des sujets secondaires au regard de la question sociale, c’est au contraire en y répondant correctement que l’on peut se donner les moyens d’apporter des solutions efficaces à la crise économique et sociale, surtout si ces solutions exigent de demander encore plus d’efforts aux Français. Thomas Clay explique ainsi que la baisse du cumul des mandats permettra de renouveler le débat d’idées dans notre pays. De même l’institution judiciaire, insistent les juristes présents et le député vert François de Rugy, intéresse réellement les gens, contrairement à une idée reçue ; il y a notamment une inquiétude grandissante dans la population face aux manifestations de ce qui semble bien être une justice à deux vitesses, portant donc atteinte à l’idée même de justice. L’attitude du président de la République – souligne Dominique Barella – qui se permet d’annoncer par avance des résultats de procès ou de commenter démagogiquement telle ou telle libération conditionnelle, n’arrange rien à l’affaire, et accrédite l’idée que sans son appui ou celui de ses « sbires » (sic), on ne peut sortir gagnant de l’institution judiciaire.
C’est le même Dominique Barella qui fait une série de propositions très fortes sur la réforme de la justice. Partant du constat de la crise de confiance qu’elle traverse suite notamment à Outreau, il propose de mettre en place dans les tribunaux des conseils de citoyens, chargés de vérifier la qualité de la justice rendue (durée des procédures, etc.), de faire entrer les mêmes citoyens au tribunal correctionnel (ils siègent bien aux assises ou aux prud’hommes), ou encore de conditionner la désignation des procureurs généraux à un « grand oral » passé devant les commissions des lois du Parlement. L’essentiel étant, comme le rappelle Franck Natali, de sortir de la logique quasi-napoléonienne qui est celle de la France, pays où l’on nomme les procureurs en Conseil des Ministres – comme les préfets ! – et où l’on fait disparaître le principe même de l’enquête indépendante en supprimant les juges d’instruction sans indépendance préalable du parquet. Paul Huber (juge d’instruction), quant à lui, suggère de hausser la justice au rang de l’exécutif et du judiciaire en lui conférant le statut de « pouvoir » dans notre constitution, et en la dotant d’un budget propre autonome.
La réforme de l’Etat – constitution, institutions, pratique de ces dernières – prend également une large part dans le débat. Monique Saliou dresse un portrait acide de … l’état de celui-ci : inflation de lois de circonstances, foisonnantes, contradictoires et sans décrets d’applications (ceux de la réforme hospitalière ne sont toujours pas passés, indique Emmanuelle Saulnier-Cassia) ; haute-fonction publique « domestiquée » et réalisant un spoil-system de fait, mais sans les garanties de contrôle parlementaire données par la constitution américaine par exemple ; réformite obsessionnelle qui pourchasse les « doublons » de compétence dans la fonction publique, au risque d’appauvrir et de borner l’expertise de l’Etat ; évaluation des politiques publiques insuffisante, avec un bon outil, la Cour des Comptes, que les parlementaires ne peuvent pas assez facilement saisir. C’est que l’on vit encore dans le culte gaullien de l’Etat fort, centralisé et omnipotent, explique Jean-Pierre Mignard, et de l’exécutif qui fait plier les autres pouvoirs devant lui. Les idées fusent justement pour rétablir un équilibre convenable entre les pouvoirs. Retirer au président le pouvoir de dissolution de l’Assemblée, pour François De Rugy ; pour Thomas Clay, transformer le poste de Président de la République en autorité morale de référence, président des autorités administratives indépendantes, mais sans contrôle sur l’exécutif, laissé au premier ministre. Si de telles mesures permettent de mettre fin au « piétinement » du Parlement, dont la légitimité est concurrencée par celle de l’Elysée, alors il faut également que l’Assemblée soit plus représentative des Français – ce qui implique de défendre clairement le scrutin proportionnel. Scrutin proportionnel, insistent François de Rugy et François Rebsamen, que l’on peut dès à présent organiser au sein de la gauche, pour que toutes ses tendances soient représentées. Ceci pour mettre fin à la « démocratie violente » qui fait qu’à 50% des suffrages, on contrôle tout.
Par-delà le contenu du débat, on ne peut qu’être frappé par la facilité qu’ont désormais tous ces acteurs, issus de forces politiques et syndicales différentes, à parler d’eux tous en disant « nous » ou en évoquant « notre camp ». Il faut croire que le pari fait par les organisateurs du Rassemblement « d’insuffler de l’esprit de coalition », pour reprendre les mots de François de Rugy, commence déjà à prendre, alors que les régionales offrent plutôt le spectacle attristant d’un camp progressiste morcelé par les intérêts boutiquiers. Un regret en revanche, la difficulté qu’avaient les intervenants à concevoir que l’on puisse purement et simplement revenir sur l’élection du Président au scrutin universel direct. C’est sur ce type de proposition forte, porteuse d’une nouveauté radicale, que pourra se construire une alternative capable de donner à nouveau l’envie (d’avoir envie ?) au peuple de gauche … et au-delà. C’est que notre combat n’est pas autre que celui, millénaire, de la conception démocratique contre la conception oligarchique de la cité, ou « d’Athènes contre Sparte », comme le résumait un Jean-Pierre Mignard très en verve.
Romain Pigenel