Par Mariona Vivar
Évaluer financièrement l'apport de la biodiversité et le coût de sa destruction pour mieux la protéger est un des objectifs de l’Union Européenne et de l’ONU. 23 500 milliards d’euros par an, soit environ la moitié du PIB mondial, voilà la valeur des services rendus par les écosystèmes au niveau mondial, selon l’économiste Pavan Sukhdev, auteur d’ un rapport sur le coût économique de la perte de biodiversité commandé par l’Union Européenne.
L’Agence européenne pour l’environnement souhaiterait mettre en place une tarification des biens et services en fonction de leur véritable impact sur l’environnement.
Comme on lit dans le manuel pour la création de marchés de la biodiversité publié par l’OCDE, on estime souvent que les coûts induits par la conservation de la biodiversité ont un caractère local tandis que les avantages ont un caractère mondial. Il s’agit clairement d’une politique redistributive, dans la mesure où un groupe en tire avantage au détriment d’un autre : la collectivité locale y perd alors que la collectivité mondiale y gagne.
Qui doit payer ?
C’est le point de vue du président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva qui considère qu'aucun étranger ne peut demander aux habitants de l'Amazonie de « mourir de faim » pour sauver la forêt et qu'il revient aux pays riches de payer pour préserver la région. « Nous voulons bien préserver (la forêt) mais eux (les gringos) devront payer la facture de cette préservation", a déclaré Lula dans un discours avant l'ouverture d'un mini-sommet des pays amazoniens à Manaus, au cœur de l'Amazonie brésilienne, en novembre dernier.
Les pays amazoniens réclament un financement suffisant pour la préservation de leurs forêts, alors que la déforestation tropicale est jugée responsable d'environ 20% des émissions mondiales de gaz à effet de serre par les scientifiques.
Mais quel est le prix de la biodiversité? Contrairement au carbone, il est impossible d’en donner une unité de mesure, selon Bernard Chevassus-au-Louis, auteur d’un rapport sur « l’approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes ». Cependant, ce même rapport estime que la perte des services écologiques pourraient représenter chaque année jusqu’à 7% du PIB mondial en 2050, soit environ 13 938 milliards d’euros…
Calculer les pertes et les coûts
L’équipe de Pavan Sukhdev missionnée par l’Union Européenne donne l’exemple de la seule forêt de Masoala, à Madagascar. Sa perte se chiffrerait à 1,5 milliard de dollars pour l’industrie pharmaceutique, 5 milliards pour le tourisme et 4 milliards de dollars pour les ménages.
Selon une autre étude du même économiste indien publiée en novembre 2009, si l’on investissait quelque 45 milliards de dollars par an dans le développement des zones protégées sur terre et en mer, cela permettrait d'assurer des bénéfices de l'ordre de 4 à 5.000 milliards de dollars par an après seulement quelques dizaines d'années.
Les 12.000 hectares de mangroves plantés l’an dernier dans le sud du Vietnam ont coûté à peu près 1 million de dollars mais devraient permettre d'éviter plus de 7 millions de dollars de dépenses annuelles d’entretien des digues. Selon Pavan Sukhdev, l'exemple des mangroves au Vietnam pourrait et devrait être multiplié à travers le monde. Plus d'un milliard de personnes dépendent directement pour leur subsistance, des récifs coraliens, des forêts, des mangroves et d'autres formes de ce capital naturel.
La compensation en France
La France devrait pouvoir intégrer des politiques de compensation pour les services rendus par la biodiversité cette année, selon Nicolas Sarkozy. Pour l’heure, l’initiative la plus probante est aujourd’hui la création en 2008 d’un fonds de compensation pour la biodiversité doté par la Caisse des dépôts et consignation de 15 millions d’euros. La CDC Biodiversité est ainsi chargée de constituer des actifs naturels pour permettre aux maîtres d’ouvrages de pouvoir effectivement compenser en aidant à la réhabilitation d’un terrain spécifique et non plus se contenter d’un dédommagement financier.
En parallèle, un fonds d’investissement pour le patrimoine naturel ( FIPAN ) a été lancé pour permettre aux entreprises et particuliers de souscrire des « actions-vie » d’un terrain (le premier est une tourbière bretonne) et ainsi, de participer à la restauration d’un patrimoine en danger.
Des instruments à développer
Selon Novethic , nous sommes encore loin des Etats-Unis, qui offrent aujourd’hui le système de compensation le plus abouti. Les entreprises et agriculteurs qui portent atteintes aux zones humides naturelles doivent en effet acheter des crédits environnementaux à des banques spécialisées pour compenser les dégradations…Malgré les mises en garde répétées contre les dérives d’une monétarisation à outrance de la biodiversité, un marché de la préservation des milieux naturels pourrait bien voir le jour en France. Selon le Boston Consulting Group, celui-ci devrait se chiffrer à 3 milliards en 2020.