Si elle s’y est bien prise, et il est vrai que la bougresse s’enflamme de cette séance, le marquis la léchera. Sinon, c’est le fouet, le bâton, les aiguilles dans la vulve… Mais l’ordre de ces choses est interchangeable. Encore que… pas tant. En vieillissant, le marquis se contente de reproduire les sévices de jadis, avec un certain ordre : la petite Madeleine Leclerc qui les reçoit ou les prodigue, du haut de ses 16 ans (et pas vraiment de quoi fouetter un chat, amis suisses), en sait quelque chose.
Que d’atrocités… Et quelles merveilles de retrouver le marquis, encore fringant, quoique grandement diminué, réclamant à son médecin qu’il n’y aura ni découpage de son corps post-mortem, ni croix sur sa tombe. Qu’il le jure, ce bougre ! Et le médecin de jurer.
Marquis de Sade (supposé...)
Car le marquis le sent bien : la fin approche. La Mort rôde, parmi les fous, et s’empare des âmes. Celle-là même que le marquis a jalousement conservée, souillée, salie, pour que les clergés d’aucune espèce n’ait à cœur de vouloir la sauver. Le marquis fait des siennes, tonitruant, rayonnant d’un halo lumineux qui trouble les hommes de science et terrorise ceux d’église. La mort a son temps. Elle seule d’ailleurs sait ce qu’il adviendra du crâne de M. de Sade. Le dernier ? Oui… L’unique, d’ailleurs…Toi que la vie a envoyé ad patres, Jacques, permets que je te tutoie : je fais ça avec tous les gens que j’aime. Ton bouquin a du bon. Du très. Faire revivre, même pour les plus sinistres heures de son existence, le marquis de Sade, voilà qui était ingénieux. Polisson, mais ingénieux. D’autant que ta langue, contrairement à la sienne, a une force d’évocation, qui confine tantôt à la prédiction de mystique, tantôt à l’éclosion poétique… Bref, tes fins de chapitres sont de vrais régals.
Par contre, c’est quoi cette idée de crâne du Marquis ? Oui, on s’en amuse, à se demander ce qu’il a pu en advenir, et qu’à travers les siècles, il ait transité de mains en mains pour finalement te parvenir - à toi ou ton narrateur - et que tu le contemples, assouvi, lors d’une petite orgie privée et rituelle. Alimenter les contes et légendes sur la postérité sadique, en transbahutant un crâne (ou est-ce l’une des copies en plâtre ?) de çà, de là, pareil à la feuille morte, cela rompt tellement avec la charmante histoire de la mort du marquis que tu nous paumes un peu.
Jacques Chessex
Maintenant, je sais que traditionnellement, les morts ne répondent pas aux vivants - vanité mal placée, ça ferait du bien aux deux parties. Et je reste alors sur mon impression de bouquin bancal, là où tu m’aurais sûrement bien orienté dans la compréhension profonde de ce texte. Ou pas. Mais laisse-moi douter. Deux livres en un : la mort légendraire et la légende morbide, en dépit de leur continuité, ça casse l’ambiance des débuts, pour ressembler à une collection de faits divers, dont le marquis serait indirectement responsable.Reste que les amoureux du philosophe, et j’en suis, te pardonneront aisément. Nous ressusciter le marquis, voilà bien une grande idée. Et si joliment réussie…
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