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Samedi soir, avec Auré, on devait aller sur Paris. On en a donc profité pour emmener deux sacs remplis d'écharpes, bonnets et kits de toilette. Pas plus que ça, parce qu'il faut avouer que c'est sacrément lourd.
Je peux donc vous dire que déjà 5 kits ont trouvé preneurs et une dizaine d'écharpes et bonnets aussi.
Tout a été accueilli avec le sourire, et je peux même affirmer aussi, avec une pointe de surprise.
J'avais envie de vous raconter la dernière chose que j'ai distribuée, parce que ça m'a beaucoup touché et que j'y pense beaucoup depuis samedi.
Sur le coup de minuit, après avoir dit au revoir à Auré, je suis allée attendre sur le quai du RER que mon bonhomme finisse de travailler et qu'il me rejoigne pour rentrer dans notre 77 à nous.
Il restait tès exactement dans mes sacs un kit de toilette, un bonnet, et une écharpe.
J'étais assise sur un siège, toujours avec les pieds qui ne touchent pas le sol, et j'observais droit devant moi. Il y avait sur le quai d'en face un homme endormi, recroquevillé sur deux sièges, le visage vers le mur. Il n'avait pas l'air d'avoir de sac, ni de manteau. Il avait l'air d'avoir juste lui.
Ne voyant toujours pas mon bonhomme se pointer, je suis partie de mon quai, j'ai pris les escalators et ai rejoint le quai d'en face. Je suis timidement allée jusqu'à ce monsieur. Il sentait mauvais, très mauvais. Les gens qui attendaient le RER s'étaient assis trois ou quatre sièges plus loin. J'ai posé mes sacs et en ai sorti ce qu'ils contenaient. J'ai demandé à deux jeunes hommes qui arrivaient de bien vouloir rester à côté, au cas où ...
Toujours très timidement, à voix plutôt basse pour ne pas l'agresser, j'ai demandé trois fois "Monsieur?".
Il dormait à poings fermés, alors je ne l'ai pas embêté plus. J'ai déposé sur le siège près de ses pieds un kit de toilette, que j'ai recouvert d'une écharpe et d'un bonnet, pour ne pas trop attirer l'attention de la part de quelqu'un de mal intentionné.
J'ai remercié les jeunes hommes et je suis repartie aussitôt. Alors que j'allais monter dans les escalators, j'ai entendu des talons courir derrière moi. Une dame m'a interpellée pour me remercier de ce que j'avais fait ... Sur le coup, je n'ai pas su quoi dire. Puis j'ai expliqué d'où cela venait, qui avait fait don de tout cela. Elle a trouvé ça génial et m'a chargé de vous remercier aussi. Elle faisait partie d'une association qui oeuvre pour les démunis dans le Doubs.
Une fois de retour sur mon quai, j'ai continué à l'observer. Non pas par curiosité malsaine, mais plutôt parce que je voulais être sûre que c'est lui trouverait le paquet.
Il s'est réveillé, s'est assis, a vu le petit monticule près de lui, a soulevé le dessus, regardé le dessous. Puis il s'est gratté, il n'a pas arrêté de se gratter. Je ne sais pas combien de temps il s'est gratté, dans le cou, sur les joues, sur les bras, sur le torse, sur les jambes, mais ça m'a paru très long.
Puis il a dépioté le sac. Il a sorti chaque produit, un par un, les a tous regardé longuement. Je ne sais pas ce qu'il regardait précisément, mais il ne les détachait pas des yeux pendant de longues secondes.
Il les a tous rangés les uns après les autres, lentement. Il a gardé le déodorant, s'en est mis sous les aisselles et un peu partout sur son pull. Puis il a sorti le dentifrice, l'a ouvert et en a mis une noisette dans sa bouche. Puis une deuxième, une troisième et enfin une quatrième, très rapidement.
Je ne sais pas si c'était pour le goût, pour l'hygiène, ou juste pour la faim.
Mais ça m'a fait très bizarre.
Il a rangé le dentifrice et le déodorant dans le sac et l'a refermé. Il a mis le bonnet sur sa tête, l'écharpe autour de son cou et est sorti du quai en boitant.
Mon bonhomme est arrivé quelques secondes plus tard, pour le dernier RER, sur le quai quasiment désert, et je m'apprêtais à lui raconter cette scène parce que je n'arrivais pas à penser à autre chose.
A cet instant-là, nous avons vu le monsieur entrer sur notre quai. Il l'a longé en observant chaque distributeur de boissons. Devant l'un deux, presque vide, il s'est arrêté, et a ouvert le sac de son kit de toilette.
Il a déposé chaque produit dans le bac de réception des boissons, tout en regardant si quelqu'un le voyait. Il a mis le sac plastique dans sa poche, puis s'est couché sur les sièges juste à côté.
Je ne sais pas si il allait pouvoir passer la nuit là, il me semble que les agents de la RATP font sortir tout le monde passé une certaine heure, mais je me suis dit qu'il avait tout mis en sécurité pour être sûr de tout retrouver le lendemain à la première heure, et que personne n'aurait pu le lui voler sur lui pendant la nuit.
Nous l'avons observé jusqu'à la dernière seconde, nous sommes montés dans le RER et nous n'avons pas pu parler d'autre chose jusqu'à l'arrivée à la maison.
Je crois que nos kits de toilette, d'une manière ou d'une autre, vont vraiment servir.
Merci pour tous vos envois, et merci à Auré d'avoir porté les lourds sacs avec moi ;)
PS : la photo a été discrètement prise par Auré de son Iphone, lors d'un petit instant de partage sur la place de la Nation.