Buzz (anglicisme de bourdonnement) : technique marketing consistant, comme son nom l'indique, à faire du bruit autour d'un nouveau produit ou d'une offre. (Merci Wikipédia)
1 – Pour une fois la quatrième de couverture résume réellement tout ce qu'il y a à savoir : « Sacha Sperling a dix-huit ans. Il signe ici son premier roman. » Deux phrases courtes, rythme similaire, rimes plates.
2 – Livre court, moins de trois cent pages, grosse police, phrases courtes. Chapitres non numérotés, séparés pages blanches, disséminés à intervalles réguliers. Durée du livre entier : une année scolaire : le narrateur à 14 ans. Tout le monde à 14 ans.
3 – Sacha Sperling n'a pas de présence en ligne (simple page facebook vide où l'on peut « devenir fan » mais pas vraiment échanger), ce qui est curieux (voire dommage) pour un auteur de cette génération.
Le vide. Comme si une plaque de verre s'était installée entre moi et le monde. Ma mère est encore partie. Au Maroc, peut-être. On est dimanche. J'appelle Augustin. Il ne répond pas. Tant pis. J'ai envie de sortir. Je décide d'aller acheter des cigarettes. Je n'ai pas d'appel en absence. Je suis aussi seul dans ma chambre que dans la rue. J'entre dans un tabac.4 – La couverture cadre photo de deux adolescents, bien sûr, mais découpé sur forme de CD collé sous le titre. La musique tient un rôle majeur dans le récit, enchaînant référence sur référence (en premier lieu le titre : Gainsbourg). Le livre s'inscrit dans la continuité d'un Boris Bergmann (publié à 15 ans avec Viens là que je te tue ma belle en 2007) ou de l'éclosion de la nouvelle scène rock française il y a quelques années. Dénominateur commun : adolescents bourgeois parisiens restés hors de leur époque. Autre dénominateur commun : l'ennui.
« Jeune homme... vous désirez ? »
Non, madame, je ne désire rien. Ou plutôt si, je veux bien revenir en arrière, recommencer.
« Un paquet de Rothman bleu. »
Mes Converse traînent sur le trottoir. Dans le reflet d'une vitrine, un collégien tout ce qu'il y a de plus banal. Peut-être qu'il ne rêve plus de fuite. Il n'y aura plus de fêtes. J'ai envie d'aller dans une gare, dans la zone des départs.
Sacha Sperling, Mes illusions donnent sur la cour, Fayard, P. 229.
5 – Phrases courtes, parfois lapidaires, parfois mitraillettes dans la bouche ou la tête de celui qui les sort. L'esthétique prend vite et fonctionne : descriptions saccadées, violence quotidienne de gestes simples : ouvrir les yeux, boire, fumer, boire, sucer, vomir, lécher, cracher, fumer, fermer les yeux.
Dans notre chambre, les lits jumeaux se touchent presque. Augustin déballe ses affaires. Il est bordélique. Les bagages défaits, il veut prendre une douche. Il me fait un clin d'oeil. Il en fait souvent, de plus en plus. Je le rejoins. L'eau bouillante, excitante. Il m'embrasse. La bouche, le torse, le nombril. Il me suce. Je caresse ses cheveux et je lui plaque le visage contre mon ventre. On entend plus que l'eau. Plus que la chaleur de l'eau.6 – Une fausse note entortillée dans le texte : tous les passages en italiques sont dispensables. Non : tous les passages en italique auraient dû être supprimés sans vergogne lors de la correction. Tous sans exception, à commencer par les dernières pages : voilà ce qui arrive quand on assume pas sa fiction.
P. 154
7 – Si Mes illusions « fait le buzz », ce n'est pas tant parce que Sacha Sperling est un « fils de » (d'ailleurs on s'en fout), mais plutôt parce qu'il décrit dans son livre une adolescence qu'« on » aimerait mieux ne pas voir : celle du journal télévisé de 13 ou 20 heures qui vous apprend que oui, c'est vrai, maintenant les jeunes se droguent, baisent, boivent, se tuent, ou, non ça tout le monde le sait, que les collégiens se droguent, baisent, boivent, se tuent, et qu'un coma éthylique à 12 ans ou une ligne de coke dans les chiottes avant une épreuve du brevet, c'est oui bon quoi et alors ? Voilà pourquoi Mes illusions fait le buzz : il joue la carte de l'excès, d'ailleurs il la joue bien, même si parfois se contente de simuler.
J'ai mis du coton dans mes Converse. C'est pas facile de rentrer en boîte à quatorze ans. Augustin me dit que lui y est déjà allé, en vacances. Je ne le crois pas vraiment. Nous prenons un taxi. Nous mettons du temps à trouver Sam, le copain d'Augustin qui est censé nous faire rentrer au Scream. Il est en train de sniffer des lignes sur le siège de son scooter. Il nous en propose. Nous acceptons. Je sais m'y prendre, j'ai appris en regardant des films. Je tremble malgré tout en approchant le billet du miroir de poche. C'est amer. Augustin à l'air d'avoir fait ça des centaines de fois, même si je ne crois pas que ce soit le cas.8 – Le problème c'est la langue. Ce n'est pas celle d'un adolescent de 14 ans, ni même celle d'un auteur de 18. C'est la langue d'un ado qui tente de se faire passer pour un adulte qui lui-même se mettrait en tête « d'écrire l'adolescence ». La distance reste : parfois Sacha Sperling se voit écrire l'adolescence. Parfois (pire), il s'écrit en train d'écrire l'adolescence. Certains passages sont vigoureux, ils viennent des tripes. Les autres pages se contentent de lier le texte, meubler. Les dialogues tombent de nulle part, ne collent pas avec le ton du récit : on revient cinquante ans en arrière. Le problème ce n'est pas que le texte est trash, mais bien qu'il ne l'est pas. Mes illusions n'est pas un pavé dans la marre ni un Bret Easton Ellis like mais un roman terriblement académique qui connaît parfois quelques fulgurances décoiffées.
P. 53
9 – L'adolescence est une fuite. Même fictive, c'en est une. Ici ce qu'on fuit, ce n'est pas le cocon familial, ni même le vide sidéral qui pèse sur la nuque au quotidien. C'est une fuite temporelle, car l'époque traversée n'est pas celle qui est écrite. On puise le temps dans la musique, d'abord, et aucune des références faites en bord de texte ne sont celles des années 2000. Ce sont les années 60, 70, 80 et plus rarement 90. Idem pour les films, idem pour les drogues. Le Sacha du récit est un Sacha qui fuit en arrière, qui tourne le dos.
« Y a pas des moments où t'as envie de te barrer ? »10 – Le titre Mes illusions donnent sur la cour vient de nulle part : il sent fort l'ajout marketing de l'éditeur durant la correction du manuscrit. Il ne colle pas au texte. On aurait presque préféré Black Trombone. On aurait préféré autre chose. De plus réel. De moins ailleurs.
P. 119
11 – Un livre beaucoup plus banal que ce qui a été écrit ici ou là, nettement moins bon, sûrement moins mauvais. Non pas épidermique mais un peu vague, pas moins plaisant pour autant d'ailleurs. Mes illusions (titre que l'on abrège d'ailleurs avec beaucoup de tendresse : comme un diminutif), c'est une photo polaroïd où les os ressortiraient, mal cadrée, surexposée et un peu floue. Celui qui prend la photo est aussi celui qui s'y imprime. Il ferme un peu les yeux, ouvre la bouche, flash dans la gueule on dirait. Ça tremble, c'est maladroit, rapidement on se lasse. Oui mais les os ressortent.
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