Samedi 24 janvier, j'ai participé à l'émission littéraire « Jeux d'épreuves » de Joseph Macé-Scaron, sur France Culture. Quatre chroniqueurs se retrouvent autour de la table et viennent défendre un livre. Chacun doit avoir lu les ouvrages présentés par les petits camarades qui, cette fois, avaient pour nom : Clara Dupont-Monod, Nathalie Crom, Baptiste Liger et votre serviteur donc.
Pour écouter les commentaires, c'est très simple, il suffit de se rendre sur le site de l'émission (> Lien). Attention ! cette émission peut être écoutée et/ou podcastée pendant une semaine seulement. Aussi me contenterai-je ici de faire un très bref résumé du contenu.
Il s'agit d'un roman mettant en scène cinq personnages: l'adolescent Haruo, la veuve Tô, le moine Ho, le « naturaliste » Allan et la pieuvre Oryui. A la suite du passage d'un tsunami l'animal vient visiter, et de quelle manière, la veuve Tô.
Patrick Grainville a construit une histoire à partir d'une toile très connue du peintre japonais Hokusaï, intitulée Le rêve de la femme du pêcheur.
Il s'agit d'un livre sur l'obsession, sur la quête de soi où la nature est elle-même personnifiée, sexuée.
Extrait :
Mais le volcan secrètement suintait, respirait, vivait. C'est pourquoi, d'en bas, il gardait toute sa puissance de sidération, tout bombé de ses forces plutoniennes. Car le volcan se reliait, malgré l'obturation provisoire de son boyau, à la fournaise centrale, ce foyer abyssal qui brassait la soupe des laves. Là, dans les profondeurs de cette caverne apparemment morte, vivait le magma juteux. Son ébullition rouge et dorée, toute sa graisse de braises. La marmite flamboyait. Le sexe béant et chauve de sorcière incinérée cachait l'autre : la vierge éjaculation des fonds, l'effervescence jeune et rousse du sperme infini. Cet océan, ces bourrasques de lave battaient le fond du four. Il suffisait de faire le tour du volcan pour arriver au-dessus du cône adventif. Alors la gerbe de feu dégorgeait de l'aorte de Gü. Le sang du monstre pissait le long de la pente jusqu'au fond de la mer bouillante. Au-delà l'ilôt des murènes aplatissait sa lune noir sur le bleu cru.
Lilly Tuck nous narre la rencontre à Paris, sous le Second Empire, entre Eliza Alicia Lynch l'Irlandaise et Francisco Solano Lopez originaire du Paraguay où le couple va s'installer et demeurer pour le meilleur mais surtout pour le pire. Car Lopez, après être devenu chef de l'état, va déclencher une guerre contre le Brésil, l'Argentine et l'Uruguay – la Triple Alliance – qui sera fatale à Asunción.
Ou comment Shim Chong, jeune fille de 15 ans, originaire de Corée est d'abord vendue à un octogénaire chinois. Commence alors une descente aux enfers qui la mènera dans différentes maisons de passe asiatiques. Nous sommes dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, l'époque du Commodore Perry, des guerres de l'opium. Hwang Sok-Yong veut montrer comment se développe le commerce, y compris celui du sexe dans cette partie du monde.
Comme d'habitude, l'auteur s'intéresse aux couches défavorisées de la société mais remonte plus loin dans le temps et, cette fois, en détournant une légende populaire.
Extrait :
Chong, étendue nue, regardait les taches que dessinait au plafond, dans l'obscurité, la lumière de la lampe accrochée dehors, sous l'avancée du toit. A côté d'elle, un étranger dormait, ronflant tout son soûl.
Maintenant, je n'appartiens à personne. Me voici devenue la hwajia du Pavillon, la « fleur de la maison ».
Ainsi soliloquait-elle. Ce moment, elle mesurait toute la distance qui le séparait de la première nuit passée avec maître Chen. Désormais, elle avait le sentiment que son corps lui était devenue étranger. La voix qu'elle entendait n'était plus celle de la jeune fille d'alors. La première nuit, il lui avait semblé que son âme était prisonnière de ce monde obscur, de cette eau profonde où on l'avait précipitée ; la vie qu'on lui faisait mener était pour elle un mystère effrayant. Mais maintenant, elle avait l'impression que quelqu'un qui se souvenait d'elle flottait au-dessus du lit pour regarder son corps nu. Elle glissa sa main sous l'oreiller et y retrouva la pièce d'argent en forme de sabot à cheval que Liangjung lui avait donnée avec cette superbe habituelle des hommes avant l'amour. Elle referma sa main sur la pièce toute tiédie.
« Je me suis vendue. »
Elle repoussa la couverture, se leva, descendit du lit sans faire de bruit. Elle versa l'eau d'une grande jarre dans un bassinet, puis s'accroupit pour se laver le bas-ventre.
Dans cet univers où règne aussi les cadences infernales Shim Chong est progressivement dépossédée de tout, y compris de son identité. Elle apprend que la séduction peut-être un pouvoir et parviendra même à développer une forme de maternité.
Voir plus haut pour la rencontre avec l'auteur.
Amos Oz offre ici une série de « nouvelles » mettant en scène des habitants d'une localité israélienne imaginaire, Tel-Ilan. On peut presque lire ces scènes de la vie quotidienne comme un roman.
Parmi les personnages il y a un agent immobilier un brin encombrant, une femme médecin qui se demande pourquoi son neveu n'est pas dans le bus qui devait pourtant l'amener jusqu'à elle, un député à la retraite qui dit entendre de drôles de bruit, la nuit, dans la maison, un maire qui ne voit pas réapparaître sa femme...
Extrait de la nouvelle intitulée Creuser :
Entre Rachel et lui (Dan, son mari) régnait l'armistice ordinaire propre aux vieux couples, une fois que les querelles, les humiliations, les séparations temporaires leur eurent appris à examiner avec précaution chaque empreinte de pas et à contourner les champs des mines balisés. Cette prudence ressemblait assez, vue de l'extérieur, à une réconciliation laissant place à une sorte d'amitié sereine, de celles qui s'instaurent parfois entre les soldats de deux armées ennemies, se mesurant à quelques mètres de distance, enlisés dans une interminable guerre de tranchées.
Rien n'est sûr dans ce livre. Chaque nouvelle perpétue l'énigme.