Je ne me souviens plus de ce qui m’a fait courir chez Présence Africaine, lorsque je me suis installé il y a quelques années en région parisienne. Il est certain que cette maison d’édition ne m’était pas étrangère lorsque l’on considère que quelques uns des bouquins qui sommeillaient dans la bibliothèque de mes parents étaient des productions de cette fameuse maison d’édition. Sans compter mes premiers classiques africains piochés au CCF de Brazzaville… Malgré la modestie de cette librairie du quartier latin, le lecteur que je suis, a - à chaque fois - été et est encore impressionné par l’atmosphère du lieu. On sent vraiment qu’une partie de l’histoire de nombreux peuples africains s’est écrite dans ce lieu. Un lieu chargé. Les photos des plus grands auteurs publiés par cette maison sont là pour rappeler le poids de cet espace. Gontran-Damas, Senghor, Césaire, Achebe, Bhêly-Quenum, Tchicaya U Tam’si pour les débuts de l’épopée, Mabanckou, Tadjo, Bugul ou Biyaoula pour les plus récents…
Le Musée Quai Branly fait la fête à cette institution de la littérature du 10 Novembre 2009 au 30 Janvier 2010 en lui consacrant une exposition « Présence africaine, une tribune, un mouvement, un réseau ». Et j’ai eu l’immense plaisir d’avoir entre les mains le numéro spécial de la revue Gradhiva publiée à l’occasion de cette exposition et intitulée « Présence Africaine, les conditions noires : une généalogie des discours ».
Je commencerai par dire que je me suis régalé à la lecture de cet ouvrage collectif. Tant par la qualité des articles, leur imbrication qui de fil en aiguille constitue une sorte d’arbre généalogique des différents discours nègres produits en Occident depuis le 18ème siècle et la place considérable que Présence africaine, en tant que revue littéraire, maison d’édition et librairie, a occupé pour apporter un écho à ces différentes voix. C’est un vibrant hommage qui est rendu à l’homme de culture sénégalais Alioune Diop qui, s’appuyant le dynamisme des littératures noires d’Outre-Atlantique de l’entre-deux-guerres, et constatant l’échec des mouvements politiques noirs en métropole durant cette période, entreprend de tisser un réseau d’hommes de culture africains, antillais, malgaches et afro-américains tout en se liant aux avant-gardistes français sur la question coloniale et la reconnaissance des cultures noires longtemps bafouées. On pense à Sartre, à Camus, à Balandier.
En 1947, Alioune Diop crée la revue Présence Africaine, qui sera la tribune des auteurs de la négritude tels que Senghor, Césaire, Gontran-Damas. En 1956, le SAC (la Société Africaine de Culture) voit le jour, avec entre autres objectifs l’organisation du 2ème congrès des écrivains et artistes noirs. On pourrait s’étendre sur la création de la maison d’édition également.
Mais le véritable enjeu de cette revue excellente est de resituer le contexte du discours nègre au moment de la création de cette revue, de voir se construire cette littérature noire s’émancipant progressivement de la littérature coloniale, ces différents auteurs se lançant à l’assaut des maisons d’édition françaises ou encore le caractère transnational de cette initiative qui ne peut se comprendre qu’une fois immergé dans le contexte nauséeux de cette époque où l’identité noire était foulée méthodiquement. Les témoignages de René Depestre, Daniel Maximin ou encore Georges Balandier nous permettent de nous imprégner de cette atmosphère, de cette Sorbonne noire que constituaient les espaces de réflexion africaine.
L’intelligence de cet ouvrage est de restituer également une polémique entre l'écrivain afro-américain Ralph W. Ellison - auteur du fameux Homme invisible, pour qui chantes-tu? - qui a toujours refusé les invitations d’Alioune Diop, à l’universitaire américain Stanley Hyman sur la thématique passionnante autour du rapport entre la littérature afro-américaine et la tradition folklorique.
En achevant cet ouvrage, que je recommande évidemment, je cerne cette ambiance que je retrouve mieux chaque fois que je passe au 25 bis rue des écoles dans le 5ème arrondissement, dans cette petite librairie chargée d’histoire.
Bonne lecture !
Achtung !
A l’occasion de l’exposition Présence Africaine, le musée du Quai Branly, en partenariat avec la Bibliothèque Nationale de France, propose un colloque international réunissant auteurs, éditeurs, critiques et spécialistes de la littérature sur « les littératures noires » contemporaines qui aura lieu sur deux jours à partir de ce vendredi 29 Janvier 2010.
Vendredi 29 janvier
Bibliothèque Nationale de France
Petit Auditorium 9h15 – 19h
Samedi 30 janvier
Musée du quai Branly
Théâtre Claude Lévi-Strauss 9h15 – 19h
Voir le programme détaillé de ces rencontres ici
(Source Photo Librairie : www.presenceafricaine.com)