Que fait le journaliste sans carte de presse, l'écrivain sans papier, le cyber-calligrapheur, lorsqu'il ne dispose d'aucune information sur le disque qu'il a pourtant tant aimé à la pause sandwich de son boulot d'assistant marketing à 35H, perdu dans sa banlieue gris béton ? J'avoue souvent me poser la question. Vous ne voyez pas le rapport avec Bettina Koster et son physique de Fräulein à être passée sous le mur en 1989 ... j'y viens, patience. Mangez des cacahouètes en attendant.
Aussi vrai que l'homme aime bien baiser les inconnues, il reste souvent de marbre devant les artistes sans identités. Donnez lui un album sans sticker, un disque sans bio, et le voilà perdu, prêt à lancer Google à la recherche d'informations qu'il recopie in extenso dans 90% des cas. Cela donne souvent de médiocres résultats (des copié-collé en guise de prose sur le nouveau disque de Vampire Weekend) et parfois même de très mauvais exemples (une vidéo de Pete Doherty avec une phrase laconique type « Pete est en concert à la Flèche d'Or demain, viendra-t-il ? ») Après tout, ces histoires de simagrées n'intéressent que les canards des médias, le public mérite bien autre chose. Si tant est qu'il est en reste un pour écouter le disque de la reine du bruit.
Surnageant dans les tranchées du buzz viral et à l'abri dans son bunker anti-forward, Bettina Koester n'a pas de wikipédia. Pas de site référencé. Un passé, un avant, un après ? Surement. Hypnotisé par sa gueule de camionneur ménopausé, j'avoue ne pas avoir poussé trop la recherche en avant. Et puis j'avais perdu la bio, pour tout vous dire. Ne restait plus, sacrilège, qu'à écouter le disque. Prendre toute la mesure d'un 33 tonnes fonçant à tout berzingue sur la petite gueule amochée de l'européen médium qui croit encore que l'Allemagne se résume à Berlin, ses squats et ses jeunes filles aux poignets parcourus d'ecchymoses.Une voix à tremper ses gitanes dans le café pour sucer les filtres. C'est une première évidence, à l'écoute d'Helter Skelter, une reprise qui sent plus l'autobahn que la nationale 7. Bettina doit désormais avoir la quarantaine, elle a surement refusé la vie classique, les marmots, le mec qui perd ses cheveux ; elle opte pour une autre cigarette, prend sa Skoda direction le studio pour poser la voix sur une production sèche comme un coup de trique. SS. Sans Solutions. Helter Skelter, une reprise des Beatles pour ouvrir un album. Il n'y a que les vieilles revenues de tout pour oser tel pari. La basse est minimale, elle poinçonne le rythme, le martèle, back to the early 90', un solo de guitare grinçant par ici, une voix desséchée par là. Welcome to Germany, ça, c'est pour la carte d'identité. Gestapo(p) ?
Passé un certain âge, les femmes n'ont plus que très peu de temps pour tout donner. Du sexe, du plaisir, de la musique. C'est une autre évidence, du point de vue masculin. Comme ses sœurs vocales abimées (le coté cabaret New-Yorkais d'une Little Annie, l'imprécision nicotine d'une Marianne Faithfull paumée en Rhénanie), Bettina respire la vieillesse assumée. Puisqu'il ne reste que la voix... Sur Grab me, on entend l'écho de l'indus' répété en mantra, sur d'autres, de belles envolées dénudées qui suggèrent le premier essai solo de Martin Gore (Counterfeit, en 1989, justement) et partout, collé en affiche, du « attention mauvais goût, français s'abstenir ». Tiens, au détour d'une allée, une autre reprise (« Femme Fatale ») troublante de justesse, d'électro saupoudrée. Et toujours cette voix pour les chauffards, ce corps d'ex-taularde. Et puis cette basse, en light motif, qui pénètre quand d'autres meurent en bicyclette. Au bout du voyage, je la tiens ma chute : Bettina Koster, c'est Nico sans le miroir, sans les cailloux dorés d'Ibiza. Sans la jeunesse qui s'envole.
Alors, Bettina, un avenir ? Surement pas. Une histoire ? Sans aucun doute. Demain matin, à la cafet', on pourra encore se gausser d'avoir écouté un disque qui ne passe pas sur NRJ. Une fois de plus, la découverte sera surement suivie d'un long silence.
Bettina Koster // Queen of noise // Le son du Maquis