4ème de couverture :
L’air, l’eau, la terre, le feu : voici les quatre éléments qui ont inspiré vingt-quatre auteurs du Val d’Oise pour ce recueil collectif pas comme les autres.
Entre récits autobiographiques, nouvelles, articles, histoires extraordinaires, évasions poétiques,… ce livre vous entraînera dans des univers aussi variés qu’inattendus.
Ici, la couleur des mots et la force des écrits prennent corps dans de courts et séduisants récits.
Les quatre éléments est le deuxième ouvrage collectif de la maison d’édition associative Mots Migrateurs Editeur dont le premier opus De temps en temps…, paru en 2007, a déjà rencontré un vrai succès auprès des lecteurs et nécessité une nouvelle édition.
C'est avec impatience que j'attendais la parution du livre, pour vous faire profiter de ma nouvelle : Martine de Cergyrama l'a déjà acheté. Elle est formidable, toujours présente lors de mes événements. Merci Martine.
Vous pouvez l'obtenir en m'envoyant un mail à [email protected] , je me ferais un plaisir de vous le dédicacer, ou encore en envoyant un mail à l'association des Mots migrateurs [email protected]. Il est au prix de 12 euros..... qu'on se le dise !!
De l’eau dans le gaz
Plongée au cœur d’un orage de montagne lorsque je n’étais encore qu’une adolescente, émerveillée par les éclairs, impressionnée par le tonnerre, humant les senteurs de l’herbe fraîchement arrosée, l’inspiration m’envahit et je compris à quel point les saisons dirigeaient ma vie.
Depuis ce jour, je puise mon énergie en caressant les arbres, je marche nu pieds pour capter les ondes souterraines, je parle aux oiseaux, j’aime la nature.
Cette année, l’automne a été zappé. Octobre nous a plongés directement dans l’hiver avec son lot de manteaux blancs, ses canards patinant sur la glace, son givre.
A l’ordinaire, pour autant que cela représente nos habitudes acquises depuis que nous avons déréglé la pluie et le beau temps, à l’ordinaire donc, l’hiver n’est plus méchant. Je m’y suis préparée depuis des années, isolant le plancher, doublant les vitrages, recouvrant de mousse bien synthétique les tuyauteries. J’aurais pu mettre de la paille, cela aurait renforcé l’effet mais…… vivons avec notre temps !
La vie en mobil home, c’est le contact direct avec la nature, c’est la joie de voir danser les arbres au vent, d’entendre les arpèges des cimes de sapins fendant le ciel dans un mouvement velouté. L’hiver, si doux depuis que l’homme dompte les saisons, y est très supportable, voire agréable.
La crise financière mondiale nous obligeant à prendre des congés forcés pour ne pas tomber dans le chômage technique, j’avais pour projet d’aller passer le nouvel an à la montagne, en famille. « Chouette ! Je vais voir la neige, faire de belles balades aux sommets, goûter au plaisir de me faire « raquetter », bâtons aux poings et m’enfoncer dans la poudreuse ». Pour le coup, je prévoyais des vêtements de laine, je révisais la recette du vin chaud, je sortis les gants qui, d’une année sur l’autre, sommeillent au fond du tiroir.
Le grand jour arriva, j’allais prendre la route. La météo était assez clémente malgré les alertes lancées par le journal télévisé, mais comment prévoir le temps lorsque nous vivons les quatre saisons en une journée ? Nous ne pouvons pas en vouloir à la petite grenouille si parfois elle s’embrouille.
J’ai tout fermé : l’eau, le gaz, l’électricité, le chauffage, j’ai même mis le frigo à dégivrer, prenant soin de plaquer une serpillière au sol pour éviter les inondations. J’avançais, bravant quelques ondées bien froides entrecoupées d’éclaircies éphémères. Et j’avançais et j’avançais, m’engageant maintenant dans le brouillard et la nuit, cette nuit éclairée par des flocons blancs formant écran. Je n’avançais plus ! Je m’enfonçais dans le blizzard, la route était glissante, les chasse neige entamaient une danse. Je ne pensais pas être au cœur de l’hiver si rapidement ! J’étais surprise, transie, gelée. Je n’avais plus l’habitude d’avoir froid en décembre. Je réapprenais à venir me réchauffer au sein de la famille, à retrouver ces sensations de réconfort. Bizarrement, plus la planète se réchauffe et plus les gens sont austères, c’est chacun pour soi ! Quel bonheur que de partager ces instants chaleureux si longtemps oubliés, chassés du coin du feu.
Merveilleuses vacances au grand air, qui malheureusement devaient se terminer sous peu. Les infos étaient peu rassurantes, on annonçait des moins dix degrés centigrades en région parisienne, du rarement vu depuis mille neuf cent cinquante huit, où les mômes de Montmartre faisaient des glissages le long des rampes d’escaliers et où les écoles étaient fermées pour cause de grand froid ! Les autoroutes étaient bouchées en île de France, recouvertes de verglas alors qu’ici, à la montagne, le soleil radieux nous incitait à profiter pleinement de l’environnement, à glaner à son coucher, et je pensais à mon mobil home, épais comme une carlingue d’alpha jet. Je bouclais mes valises, j’étais fin prête à rentrer dans mes pénates, où je savais bien que j’aurais dû préférer la paille au synthétique. A coup sûr, les tuyaux vont être gelés. J’en voulais à la terre entière, à cette société de consommation bidon. Ah oui ! bidons d’eau que je vais me trimbaler avec mes petits bras musclés, bravant les intempéries, la nuit aussi puisque nous avons également poussé le vice jusqu’à changer l’heure, nous moquant bien du fuseau. Il va falloir chausser les après ski au faîte du vexin.
Grisy, Grisy, me voilà ! Grisée par un trajet de plus en plus dangereux et fatiguée à force d’être sous tension avec ce frimas . Il neigeait à partir d’Auxerre, le pare brise se couvrait de givre même en roulant. Les dix derniers kilomètres au cœur d’une départementale que le chasse neige ne connaît pas…. Au fait ! les tracteurs n’ont pas de GPS, quel dommage, ces virages à faire déraper un bœuf et le petit chemin caillouteux d’ordinaire si inconfortable, tout ressemblait à une glace au citron. Tout était blanc, je finis ma course en glissade.
J’arrivais cependant à monter la côte, d’une traite, en fermant les yeux pour ainsi dire tant la peur elle aussi, me glaçait. Je me suis garée.
J’ai envoyé un texto à mes enfants pour les rassurer et j’ai pris mon temps avant de sortir les bagages. J’étais bien au chaud dans ma voiture et je savais trop ce qui m’attendait dans cette maison non entretenue depuis quinze jours.
J’ai osé, à tâtons pour ne pas me casser la figure, j’ai osé un pas sur ma terrasse, guidée par ma lampe frontale. Il faisait nuit noire. J’admirais cette couche épaisse et blanche recouvrant mon petit domaine, les arbres et la barrière. Personne n’avait marché là, le silence s’imposait, majestueux. Le sol éclairait la nuit.
J’ai tenté de regarder mon courrier, la boîte devait être pleine à craquer ! J’ai tenté mais je n’y arrivais pas, la serrure était congelée, il m’était impossible de l’ouvrir. J’aperçus par la fente que les escargots s’y étaient mis à l’abri. A coup sûr, ils vont avoir mangé mes factures ! Bon, je verrais ça demain.
Les trois marches menant à ma porte d’entrée me conseillaient de chausser les patins à glace. Me contorsionnant pour garder un semblant d’équilibre, j’enfonçais ma clef. L’endroit étant un peu mieux abrité, elle tourna sans problème dans le barillet. Je m’accrochais à la poignée qui me résistait ! Les joints d’isolation de la porte s’étaient soudés par le gel. Je ne pouvais pas pénétrer chez moi. Oh rage, oh désespoir, oh intempéries ennemies ! Que n’ai je donc averti mes amis pour qu’ils anticipent mon retour, vérifiant les mécanismes et dégageant un tant soi peu l’escalier ? Mes amis sont mes voisins qui, eux, étaient restés là et n’avaient pas trop de dégâts, ayant fait fonctionner le poêle non stop.
Je forçais sur la porte, quitte à me froisser un muscle. Je n’avais plus froid ! Sésame s’ouvrit à moi. Il faisait frisquet dans mon antre, des stalactites pendaient dans l’embrasure, telle une épée de damoclès. Mon frigo, que j’avais mis à dégeler, ressemblait à un iceberg, la serpillière était dure comme un esquimau. Evidemment, je n’avais plus d’eau…. Pas une goutte. J’avais heureusement acheté un pack d’eau minérale qui me sauva la mise un instant.
J’ouvris tous les robinets, me disant qu’avec le chauffage, je retrouverais l’espoir d’au moins une petite buée suintante qui me ferait croire à cet élément vital dont nous sommes en grande partie constitués. J’arrivais dans les toilettes et Oh ! surprise, le réceptacle de la chasse d’eau s’était transformé en pain de glace ! Le mécanisme était pris dans les serres de l’hiver.
Ne perdant pas courage, je décidais de faire à manger. Le gaz ne gèle pas, j’étais tranquille ! Et bien, non. Il n’y avait pas plus de gaz que de beurre en branche. Je dirais même qu’il y avait de l’eau dans le gaz. Lorsque j’insistais lourdement pour allumer la mèche du chauffe eau, j’entendais des bzzzz, des chhhhh et la flamme ne prenait pas. Et les bzzzz m’effrayaient, il ne me restait plus qu’à aller me coucher.
J’avais tout essayé ! J’avais recouvert le tuyau de gaz de mousse pour le réchauffer, pensant qu’il avait prit froid, qu’il était grippé en cette saison. Il n’y avait rien à faire. Je suis restée trois longues semaines sans eau ni gaz. Je ne voulais pas déranger mes voisins, alors je me débrouillais avec les moyens du bord. On ne vit pas sans eau ! Comment faire la vaisselle, faire à manger, laver les légumes ou encore faire cuire des pâtes, nettoyer le sol jonché de traces de neige qu’on a entraînée sous nos semelles, et faire sa toilette ! Sans parler du café du matin. J’en ai usé des litres et des litres de bouteilles plastiques, je faisais chauffer l’eau sur l’appareil à raclette car il me restait quand même l’électricité. Pour une fois, EDF a tenu le coup avec mes six ampères allouées. Et puis, un soir, mon voisin frappa à ma porte. Il avait oublié le sel. Fervent bricoleur, il regarda mon problème de chauffe eau. Ah bien oui, forcément ! une petite bague en plastique avait craqué sous la rigueur des températures négatives. Les tuyaux étaient désolidarisés alors bien sûr, le gaz ne pouvait pas atteindre la mèche. De toutes façons, je n’avais pas d’eau non plus pour faire marcher l’engin. Alain me proposa de se procurer la pièce au plus tôt.
Le mobil home, comme son nom l’indique, est anglais. Et les pièces sont rares par chez nous. Il a fallu les commander car bon nombre d’occupants du camping étaient dans ma situation et avaient tout raflé, le temps que je comprenne où était le problème. Encore huit jours à patienter, sans eau, sans gaz. Il me fallait trouver le courage d’aller travailler chaque matin, de descendre la pente verglacée au risque d’enfoncer la barrière relevante des gardiens.
Le temps commençait à se radoucir en ce début février et je guettais le dégel, j’écoutais si les canalisations gargouillaient, je surveillais la moindre goutte s’échappant des robinets. Alain répara le chauffe eau, non sans mal car avec les pièces anglaises, il faut aussi la clef anglaise ! De plus, il avait eu un accident de travail et s’était sectionné un doigt, à la main droite évidemment. Son attèle avait du mal à se faufiler dans ce dédale de petits tuyaux, collés serrés les uns aux autres. La pièce manquante était désormais revenue mais je n’avais toujours pas d’eau, donc impossible de tester le chauffe eau, de prendre une douche.
Par un beau matin où les oiseaux sortirent de leurs nids et semblaient annoncer le redoux, le soleil brillait et caressait avec force ma carlingue. Toute la journée, sur mon lieu de travail, je jubilais. Je savais que ce soir, j’aurais enfin droit au décrassement tant espéré. J’étais impatiente de retrouver ma maison, d’apprécier le confort à nouveau. En approchant de la, porte d’entrée, j’entendis le doux murmure de l’eau, comme si un ruisseau s’était installé là, à mon insu. J’étais joyeuse. Deux tours de clefs et hop ! ……. Oh ! catastrophe. Un geyser éclaboussait le plafond, jaillissant du chauffe eau. Alain, m’entendant pester depuis la fenêtre de sa cuisine, bondit chez moi. « Il faut couper le compteur d’eau, le dégel a fait péter une autre pièce du chauffe eau ». Et re belote, j’avais de l’eau mais je ne pouvais pas m’en servir. Mes petits nerfs se retournaient me faisant des noeuds dans l’estomac. A nouveau pièce en commande, c’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase.
Mi février, tout était enfin réparé. Une poussée de bonheur monta en moi comme la moutarde monte au nez « Allumons le chauffe eau que je puisse faire une vaisselle correcte » car il y en avait partout et cela devenait invivable. Faire du slalom entre les gamelles pour arriver dans son salon, ce n’est pas réjouissant tous les jours ! Sitôt dit, sitôt fait, je pris un malin plaisir à titiller l’allumage automatique. « Allo, tango charlie, vous me recevez ? » . Il n’y avait pas de répondant…. Le gaz ne parvenait pas. Alain vérifia la bouteille de gaz, le tuyau de gaz, le détendeur. A détendeur, détendeur malin ! Je l’avais changé quelques temps avant de partir en vacances et voilà encore les bienfaits de notre société de consommation où tout est fabriqué pour ne pas tenir le coup bien longtemps, pour nous faire acheter, acheter, acheter. On ne répare plus, on jette. Le détendeur n’était pas soudé mais serti et le joint s’était fissuré par le froid. Il y avait bel et bien de l’eau dans le gaz. Par chance, un mal étant souvent un bien, j’avais dû me procurer deux détendeurs, profitant d’une promotion. C’est bien connu, on a tous deux détendeurs chez soi !
Le premier finit donc à la poubelle pour être en adéquation avec notre époque et je ne pleurais pas sur son triste sort.
L’eau, le gaz…. Tout fonctionnait désormais.
« Alain, on va fêter ça ! »………… et nous trinquâmes à l’eau.