Que le marketing se focalise sur la question de la relation est une évidence vieille de plus de vingt ans, et si la multiplication des canaux électroniques en renforce l'importance par le fait qu'elle permet de donner chair à une relation qui a surtout été pensée comme une atmosphère (climat de confiance et degré d'engagement), il ne faut pas oublier ses conséquences en matière de politique de produit et de services.
Dans un petit ouvrage, Philippe Moati, souligne le fait autour de la notion de l'économie des effets utiles et plus concrètement dans l'analyse des bouquets. Ce qu'il appele l'économie des effets utiles est une idée familière aux spécialistes de marketing. Le consommateur consomme moins les produits que les fonctions et les avantages que ceux-ci produisent. Cette idée va cependant au-delà de cette idée classique de Lancaster que l'on consomme des paniers d'attributs. Ce sont les effets de ces attributs qui doivent être au centre de l'analyse. En achetant un pneu, c'est moins ses caractéristiques de durabilité, de rigité, de capacité d'évacuation de l'eau sur les routes trempées qui sont achetés que la sécurité ou l'économie que ces attributs produisent.
Nous aurions l'impression de rappeler une évidence s'il n'y avait un fait important : pour que les attributs du produit fassent leur effet, il faut souvent que le consommateur participe et révèle cet effet par ses actions, c'est notamment le cas dans le domaine des services, et plus généralement dans ce qu'on appele depuis quelques années les consommations expérientielles. De ce point de vue, les perspectives qui mettent l'accent sur le fait que le consommateur participe à la production de la valeur, qu'il est co-concepteur, co-producteur, co distributeur, bref un prosumer pour reprendre la vieille expression de Toffler, touchent du doigt un point essentiel, même si leurs conclusions sont excessivement naïves et optimistes.
Un bon exemple est celui de la musique, quand autrefois dans nos années de lycée nous achetions une oeuvre conceptuelle tenant en 12 morceaux et une pochette que nous nous échangions, la qualité de la musique désormais provient de ce qu'elle est insérée avec talent dans une play-list composée avec plus ou moins de talent. La valeur d'un titre dépend autant de sa propre musicalité que de l'accord établi avec les autres titres. Quand autrefois le concept-album réalisait cette fonction, c'est le talent de l'auditeur qui l'exécute.
L'idée du bouquet, est celle de fournir les morceaux et le moyens de les assembler. C'est ce que font aujourd'hui les Deezer et autres spotify, quelles que soient les difficultés à monétiser ces offres. Le bouquet comprend le droit d'usage d'un catalogue, mais aussi l'ensemble des moyens qui permettent de valoriser la collection : gestion des play-lists, information corrélative, fonction de recherche et d'exploration, l'auditeur devenant le programmateur de sa radio personnelle.
Mais ne déifions pas le consommateur. S'il gagne la possibilité d'obtenir la bande musicale de ses rêves, celle-ci se fait au prix de sa compétence et de sa disponibilité, ce coût potentiel est ce qui fait l'opportunité des bouquets : en ajoutant une fonction de smart-radio, le marketeur reprend la main, et notre prosumer redevient ce consommateur passif que certains pensent voir disparaître. Ne soyons pas sûrs que la participation grandissante soit une tendance forte, elle est sans doute le résultat d'une phase transitoire.
L'économie des bouquets se fonde donc sur la relation, un certain degré de confiance, et surtout la cession de nombreux droits sur nos données personnelles, et sans nul doute la technique en facilite les variations et le développement. La relation est essentielle pour faciliter la tâche de l'assemblage des éléments de l'offre.
Ce qui est transformé est finalement la politique de produit. Nous nous éloignons des solutions de tout-en un, pour des solutions personnalisées qui s'appuient à la fois sur une désintégration des éléments de l'offre, mais aussi leur modularité qui facilite leur réintégration. Voilà une bonne matière pour repenser la politique de produit, moins en terme de variété, de gamme, que de l'adaptation aux besoins de degré d'intégration des composants de l'offre et des dispositifs de leurs réintégration.
Pensons ainsi à l'offre musicale de Apple qui se présente sous la forme d'un bouquet constitué d'un terminal et d'un logiciel associé en une seule offre auquel s'ajoute un catalogue dans lequel le consommateur peut puiser en les payants à l'unité les morceaux qu'il souhaiten. Nous ne serons pas étonné que si la concurrence s'intensifie sur ce segment, une réponse à cette dernière se présente par l'inclusion dans l'offre primaire d'un noyau de discothèque, le droit d'ajouter 20, 50, 100 titres dans une liste au choix. C'est au fond l'avantage premier des stratégies de bouquets : celui d'assurer une certaine plasticité de l'offre. C'est exactement ce que l'on a observé sur le marché de la téléphonie mobile, qui d'un marché à l'unité a évolué vers une généralisation du forfait.
Au coeur de la politique de produit, le paramètre clé apparait donc comme le souhait plus ou moins intense des consommateurs à contrôler leur consommation. C'est ce paramètre qui définira l'étendue des éléments du bouquet mais aussi la forme du vase. C'est ce paramètre aussi qui définit la nature de la relation, l'intensité avec laquelle l'information doit circuler.