Je ne suis pas un intime de Jean Allaire, le fondateur et premier chef de l’ADQ, je ne vais donc pas en parler comme si je connaissais tous ses petits secrets. Je sais qu’il a travaillé pendant une trentaine d’années au contentieux de la Ville de la Laval qu’il a mis sur pied. Je ne vous parlerai donc pas de sa vie à l’extérieur de la politique.
J’ai eu le plaisir de le croiser à quelques reprises au cours des dernières années, j’ai toujours trouvé intéressantes sa conversation et son analyse politique. À l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire de naissance, il me semblait important d’effectuer un survol de son rôle au cœur du paysage politique.
Arrivée improbable
N’eut été de l’échec de l’Accord du Lac Meech, Jean Allaire serait un nom inconnu pour la plupart des Québécois. Il faut dire qu’être président de la commission juridique et du comité constitutionnel du Parti libéral du Québec vous met rarement sous les feux de la rampe.
C’est donc la tournure d’événements improbables à l’époque de l’histoire politique québécoise et canadienne qui l’a propulsé à l’avant-scène, lui et son fameux rapport.
Quelques dates clefs dans la vie politique de Jean Allaire
1990 : Échec de l’Accord du Lac Meech. Formation de la Commission Bélanger-Campeau. Suite à une longue tournée et de multiples rencontres, le Comité constitutionnel du PLQ, formé de treize membres dirigés par Me Allaire, est unanime pour concocter un nouveau projet de société.
29 janvier 1991 : Lancement public du Rapport du Comité constitutionnel du PLQ à Québec connu sous le vocable de Rapport Allaire.
9 mars 1991, ce rapport est adopté par une majorité écrasante lors du congrès du PLQ.
1992 : Acceptation par le PLQ, lors d’un congrès à Québec, de l’entente de Charlottetown. Affrontement de Jean Allaire avec Robert Bourassa et conférence de presse donnée par Jean Allaire deux jours avant le congrès du 29 août 1992. Création du réseau des Libéraux pour le Non lors de la campagne référendaire sur l’Entente de Charlottetown. Suspension du président de la Commission jeunesse, Mario Dumont, par le PLQ. Démission du PLQ de Mario Dumont, de plusieurs membres de la Commission jeunesse et de Jean Allaire. Création du Groupe Réflexion Québec.
26 octobre 1992 : Lors d’un référendum pancanadien sur l’entente de Charlottetown, la population québécoise vote à 56,7 % en faveur du NON, pour eux l’accord ne donne pas assez de pouvoir à la belle province. Dans le ROC, il a seulement cinq provinces et un territoire qui approuvent l’entente, dont l’Ontario avec 50,1%. Au final à travers tout le Canada, c’est 54,3 % des électeurs qui refusent, et ce, avec un taux de participation de 71,8 %. (Source)
1993 : Publication du Rapport du Groupe Réflexion Québec dans un numéro spécial du magazine l’Agora (oct. 1993) à plus de 60 000 exemplaires. D’octobre à novembre 1993, le Groupe fait une tournée du Québec dont le point culminant sera l’assemblée de Trois-Rivières, en décembre 1993, où il est résolu à former un parti politique.
14 janvier 1994 : Le Directeur général des élections accepte le dépôt de la demande de Me Allaire pour la création d’un nouveau parti qui portera le nom de l’Action démocratique du Québec.
Les 5 et 6 mars 1994, l’ADQ tient son congrès de fondation, Jean Allaire en est élu le chef et les adéquistes adoptent une multitude de résolutions inspirées par le Rapport Allaire et le fruit du travail du groupe Réflexion Québec.
27 avril 1994, Jean Allaire quitte la chefferie pour des raisons de santé. Mario Dumont le remplacera et conservera ce poste jusqu’au 6 mars 2009, 15 ans jour pour jour après la fondation du parti.
30 octobre 1995: Référendum sur la souveraineté. Le NON l’emporte de justesse.
Le fameux Rapport Allaire
« Le rapport Allaire, publié à la fin de janvier 1991, propose un fédéralisme qu’on peut dire “minimal”, où les compétences exclusives du gouvernement central sont réduites à la défense et à la sécurité du territoire, aux douanes et tarifs, à la monnaie et à la dette commune ainsi qu’à la péréquation. L’environnement, la recherche et le développement et bien d’autres secteurs où le gouvernement central est très présent devraient relever, selon le rapport, de la compétence exclusive du Québec, alors que la politique étrangère et huit autres domaines appartiendraient à la catégorie des compétences partagées. Le congrès du Parti libéral, qui se déroule au début de mars 1991, adopte le rapport avec des modifications mineures, mais non sans que le chef du parti, Robert Bourassa, modère les ardeurs souverainistes de ses partisans. » (source)
« Le rapport Allaire – qui fut adopté par le Parti libéral du Québec – rejetait cette approche et était carrément centré sur une nouvelle répartition des pouvoirs qui aurait considérablement accru les compétences du Québec aux dépens du Parlement fédéral. Il recommandait une nouvelle structure politique canadienne qui renforcerait l’union économique canadienne tout en accordant l’autonomie politique à l’État québécois, principalement en établissant l’autorité législative exclusive du Québec dans 22 domaines, allant des affaires sociales, de la culture, de la santé, de la politique familiale et de la politique de la main-d’œuvre aux communications, à l’environnement, à l’agriculture et à la sécurité publique. Le rapport recommandait également la tenue au Québec, avant la fin de l’automne de 1992, d’un référendum portant soit sur une proposition de réforme Québec-Canada, soit sur l’accession du Québec à la souveraineté. » (source)
Un hommage permanent par et pour les adéquistes
Jean Allaire est important dans l’histoire de l’ADQ au point où le parti a senti le besoin de perpétuer son nom. C’est en 2000 qu’est créé le « Prix reconnaissance Jean Allaire » qui a pour but de rendre hommage à une personne ayant contribué de façon remarquable et exemplaire au développement de l’Action démocratique du Québec.
L’avenir
Je laisse parler Jean Allaire qui, dans la préface du rapport du Groupe Avenir Québec publié en décembre 2009, écrivait ce qui suit :
« Il y a quelques mois, devant l’inaction des politiciens, j’ai décidé de relire le rapport de 1993 du Groupe Réflexion Québec. Dans un premier temps, j’ai constaté avec plaisir que ce document était en grande partie toujours d’actualité après16 ans, et qu’il répondait encore aux vœux de la population.
Dans un second temps, j’ai été très déçu d’observer le peu de progrès qu’avait accompli notre société durant toute cette période. Il me semblait que le Québec valait mieux que ce qu’il est et que ce qu’il est devenu. Plus que jamais, je comprenais le scepticisme, la déception et le peu de considération qu’avaient les citoyens envers leurs élus. Le Groupe Réflexion Québec était un regroupement non partisan de citoyens, même si cela a mené à la fondation d’un nouveau parti politique.
Ayant décidé de revoir, de mettre à jour et de compléter ce premier rapport, j’ai mis sur pied un nouveau groupe de réflexion sous le nom de “Groupe Avenir Québec”, également dans un esprit non partisan.
Nous ne dépendons donc de personne ni d’un parti politique : ce “think tank” est composé de citoyens qui sont tous motivés par le désir de voir le Québec sortir de l’ornière dans laquelle il s’est enlisé depuis trente ans. Nous ne voulons pas réinventer ce qui est toujours valable du premier rapport, sauf une partie, suite aux événements de 1995.
Nous reconnaissons et saluons les efforts d’autres citoyens de la société civile qui, eux aussi, ont à cœur le bien-être et l’avenir du Québec. Je fais référence, entre autres, aux groupes de l’honorable Lucien Bouchard, de Claude Castonguay, de Jacques Ménard et de Claude Montmarquette, dont les rapports bien faits méritaient un meilleur sort qu’une tablette. »
L’autonomisme, le vrai
À travers la courte, mais intense, histoire de l’ADQ, le Rapport Allaire aura été une source d’inspiration dans l’élaboration de l’offre politique qu’elle a faite aux Québécois. Après le référendum de 1995, l’ADQ a respecté le verdict d’un électorat divisé, en proposant un moratoire de 10 ans sur le débat constitutionnel.
Par la suite, les adéquistes ont développé leur propre vision de l’autonomie. Visant à améliorer la qualité de vie des citoyens, l’offre de service des institutions publiques, l’essor économique des régions et bien sûr une meilleure distribution des pouvoirs politique entre le Québec et le Canada, l’autonomisme adéquiste est toujours d’actualité.
L’héritage
À n’en pas douter, Jean Allaire aura été un acteur majeur de la politique québécoise des vingt dernières années. La réflexion qu’il a lancée au Québec sur le rôle de l’État, sur la gestion des finances publiques, sur l’avenir du Québec est toujours d’actualité.
La série d’articles publiés dans le Journal de Montréal « Les Québécois dans le rouge », que la nouvelle communauté de blogueurs de droite, ANGLE DROIT, a regroupé pour consultation, de même que des sondages qui complètent ce dossier, démontrent que les Québécois ont soif de changement, que ce changement avait été, dans bien des domaines, proposés par l’ADQ fondé par Me Allaire et Mario Dumont. Qu’il s’agisse de l’abolition des commissions scolaires, de la privatisation de la Société des alcools, de la place du secteur privé au sein du réseau de la santé ou de la fiscalité, tous les thèmes chers à l’ADQ y sont encore.
Les résultats désastreux de l’élection générale de 2008, pour le seul parti de droite à l’Assemblée nationale, démontrent que nos concitoyens ne considèrent plus l’ADQ comme le meilleur facteur de changement, même s’ils continuent de partager les valeurs et les propositions de ce parti.
Que pense Jean Allaire de l’implosion du parti qu’il a brillamment contribué à mettre sur pied? Nous le saurons peut-être à l’occasion de son quatre-vingt-unième anniversaire.
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Une entrevue récente de Jean Allaire
Publié initialement sur ÉCRAN RADAR
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Bon anniversaire monsieur Allaire!